Gilbert Rozon le voit haut placé à Juste pour rire. Denise Filiatrault estime qu'il est l'artiste le plus doué en théâtre musical au Québec. Et Fabienne Larouche le trouve formidable ! Allumé, curieux, brillant, Serge Postigo a le respect du milieu et l'amour du public. Mais sa plus grande qualité est sa capacité de se renouveler... pour chaque projet.

Premier acte: l'acteur

Serge Postigo a failli se faire mettre à la porte de l'École nationale de théâtre, parce qu'il était (trop) parfait... C'était en 1990, juste avant la relâche des Fêtes. Le directeur de la section d'interprétation en poste, Gilles Renaud, avait convoqué l'acteur en herbe à son bureau, pour lui donner cet avertissement : « Si tu ne te "mouilles" pas plus dans les exercices, tu ne finiras pas le trimestre... »

Renaud lui dit qu'il s'en fout de le voir exécuter en classe le grand écart (Postigo aimait bien montrer sa souplesse à ses camarades pendant les échauffements). « Ce que je veux, c'est te voir chercher, creuser, douter et avoir peur. Je veux te voir échouer et te relever, puis recommencer. C'est ça, un grand acteur ! »

Un quart de siècle plus tard, l'ex-étudiant ne garde aucune rancune envers son ancien directeur. « Gilles avait raison. J'étais très appliqué dans mon travail. Mais mon jeu était trop propre. »

« Je voulais plaire à tout prix. Plus jeune, je faisais beaucoup de sport. Et j'abordais le jeu comme une discipline sportive. »

À la mi-février, La Presse a passé plusieurs heures avec le metteur en scène sur la scène déserte du Théâtre St-Denis. Après Footloose en juin, puis Fame en 2018, Postigo signera également la mise en scène des trois autres comédies musicales estivales présentées au St-Denis. Il a donc un contrat jusqu'en 2021 avec Juste pour rire et les pièces sont déjà choisies.

Peut-il nous donner les titres en primeur ? « Luc, tu es naïf... [rires] »

Ce jour-là, des ouvriers rénovent le plafond de la grande salle. Mais Postigo tenait quand même à faire l'entrevue sur la scène du St-Denis, sa deuxième résidence. On aurait pensé gêner les techniciens dans leurs travaux. Au contraire, ils apprécient notre présence. Postigo les appelle par leurs prénoms, blague avec eux. À 17 h, avant quitter la salle, les ouvriers viennent saluer le metteur en scène. Comme un ami.

Serge Postigo aime le monde. TOUT le monde ! Lorsqu'il était une vedette du petit écran, à l'époque où François Dion faisait la pluie et le beau temps dans 4 et demi, et que le Dr Trudeau courtisait la Dre Imbeault (Marina Orsini) dans Urgence, le comédien était copain-copain avec le gardien du stationnement de Radio-Canada.

« À mon sens, il ne devrait pas y avoir de hiérarchie dans le milieu culturel. »

« Des employés de la billetterie aux habilleuses, de la régie à l'administration, en passant par les placiers et les techniciens, on a des responsabilités différentes, mais on a tous le même but : que le show marche ! », dit-il.

En plus de leur amour des musicals, Postigo partage la même vision du métier que Denise Filiatrault. Pour eux, le vrai patron, ce ne sont pas les producteurs ni les diffuseurs, mais les spectateurs assis dans la salle ou devant leur téléviseur.

Au tournant des années 2000, Denise Filiiatrault a dirigé l'acteur au cinéma et au théâtre (Ma vie en cinémascopeComédie dans le noirIrma la Douce). La directrice du Rideau Vert l'a tout de suite vu dans sa soupe : « Serge a trois aptitudes qui sont aussi des critères essentiels pour faire de la comédie musicale : il joue bien, il chante bien, il danse bien. En plus, c'est un travailleur acharné, un bûcheur, un acteur qui essaie toujours des choses. Il aime son métier et il n'attend pas après les autres pour lancer des projets », explique Denise.

« Je suis curieux et j'ai besoin de comprendre, avance Postigo. Par exemple, pourquoi les gens du marketing veulent toujours des visages connus dans une production, même pour Andromaque ? Pas pour faire ma job, mais pour avoir accès aux médias. Alors moi, je leur dis qu'on peut intéresser les médias sans avoir une affiche uniquement avec des vedettes. Comme ç'a été le cas avec Mary Poppins. » La comédie musicale est d'ailleurs le plus grand succès de l'histoire du Théâtre Juste pour rire.

Deuxième acte: le metteur en scène

Serge Postigo est né en 1968 à Agen, dans le sud-ouest de la France. Deux ans plus tard, ses parents déménagent au Maroc, le pays d'origine de sa famille, du côté maternel comme paternel. Le garçon découvre Taroudant, à la porte du Sahara, avec ses orangeraies, ses rigoles et... ses sangliers. Le petit Serge est introverti, sage, rêveur. Pour ses 3 ans, sa mère lui offre un piano électrique. La musique deviendra son refuge.

À la maison, on écoute Chopin, Tchaïkovski, Mozart, mais aussi Brel, Aznavour et Ferré. Après le piano, il se met au saxophone, puis au chant. « Enfant, Serge chantait tout le temps et il a une belle voix, raconte sa mère. Mais il a toujours affirmé qu'il n'est pas un chanteur. »

Selon Marina Orsini, son ex-conjointe, mère de son fils aîné, bien qu'hyperactif au travail, Postigo a besoin de son espace, de sa bulle, de sa retraite. « Il peut passer une journée entière seul à écouter de la musique. »

Arrivée au Québec

Les Postigo ont la bougeotte. Après Taroudant, la famille retourne en France, puis déménage aux Pays-Bas, en passant par la Belgique. Serge fait des allers-retours à Casablanca afin de revoir ses proches. Il immigre au Québec vers 11 ou 12 ans. Dans ses bagages, il a transporté les odeurs du Maroc, la lumière du désert, et aussi... son accent.

Premier choc culturel. À l'école secondaire de Pointe-Calumet, il se fait niaiser par les élèves et traiter de « maudit fif ». Quelques années plus tard, il décroche son premier rôle professionnel dans Watatatow. Postigo joue un personnage homosexuel très macho ; comme un pied de nez aux quolibets homophobes.

Après la séparation de ses parents, l'adolescent s'installe à Brossard avec sa mère et sa soeur. Comme bien des élèves québécois, Postigo a eu le déclic pour l'art dramatique à travers les matchs d'improvisation, à la polyvalente Antoine-Brossard. Mais les sirènes du théâtre n'ont pas encore charmé le jeune homme. À 18 ans, il voit sa première pièce au Québec : Don Juan de Molière, avec Raymond Bouchard, au TNM.

Alors, tout s'enchaîne. Rapidement. Les cours de théâtre au cégep de Saint-Hyacinthe. L'entrée à l'École nationale de théâtre en interprétation, dans la même classe qu'Isabel Richer et Patrice Godin. Les exercices, les cours... et l'avertissement de Gilles Renaud.

À 21 ans, Serge arrive à l'École au volant d'une voiture sport. Il est beau gosse. Il porte une barbe et transporte son bagage culturel... et son accent. « Il donnait l'impression d'avoir plus de maturité que les autres étudiants de première année », témoigne Yves Desgagnés, à l'époque adjoint au directeur du département. « Il avait beaucoup d'aplomb, une autorité naturelle dans sa personnalité. Ça lui venait sans doute de ses origines, de ses voyages, de son déracinement », estime Yves Desgagnés.

« Ça ne m'étonne pas qu'il fasse une carrière de metteur en scène, aujourd'hui, parce qu'il faut être très à son affaire pour faire ce métier. »

Le déclic se fait en quatrième année quand il joue un boxeur, inspiré de Régis Lévesque, dans une création de l'ENT, Le combat du siècle de Claude Champagne. Désormais, les rôles de composition, les gars du peuple, machos et vulgaires, font partie de son répertoire. Le jeune acteur ne craint plus l'échec. Sa carrière est lancée.

Depuis quelques années, l'acteur s'est effacé un peu (bien qu'on le voie dans Ruptures). Le metteur en scène prend plus de place. Au théâtre, son dernier rôle de répertoire remonte à 2010, dans L'Opéra de quat'sous au TNM. Il y a eu Le Petit Roy, en 2011. Puis rien de majeur. « La scène, c'est ma grande passion, note le comédien. Certes, j'aimerais jouer davantage, mais on ne me fait pas d'offres au théâtre, et c'est correct ; la mise en scène, c'est très accaparant. »

Au Québec, lorsqu'un acteur commence à faire de la mise en scène, l'interprète est moins sollicité. « C'est peut-être par pudeur, ou par crainte que l'acteur se mêle des affaires du metteur en scène ? Je n'ai pas la réponse... »

Troisième acte: le funambule

Au printemps dernier, Serge Postigo a eu l'idée de faire voler Joëlle Lanctôt, l'interprète de Mary Poppins, au-dessus des 2218 spectateurs du Théâtre St-Denis. Par trois fois, on lui a dit : non, niet, nein ! On lui répondait que c'était techniquement impossible, tant pour des raisons de logistique que de sécurité. Par trois fois, le metteur en scène est revenu à la charge. Finalement, la célèbre nounou a volé au-dessus du parterre, au grand plaisir des quelque 100 000 spectateurs qui vont vu la comédie musicale.

En 2010, Postigo a mis en scène L'avare de Molière, éclairée par 2000 chandelles ! « À Juste pour rire, on me croyait fou ! On disait que c'est impossible d'allumer des chandelles à l'avant-scène, à proximité du public ; que le Service d'Incendie allait nous interdire de jouer ; que la compagnie d'assurances du Monument-National ne couvrirait pas le show... »

Or, Postigo a discuté avec les intervenants, l'un après l'autre. Et il a obtenu l'accord de tout le monde. La direction du Monument-National a même changé de compagnie d'assurances pour avoir une couverture ! 

N'allez pas croire que Postigo est un artiste têtu et capricieux. Au contraire, il écoute, il pose des questions, il pèse le pour et le contre. Il essaie de comprendre les raisons derrière un non. « Serge a la capacité de se mettre à la place des gens qui travaillent avec lui, dans chaque département. Il a une vision à 360 degrés du projet », explique la productrice Luce Rozon, de Juste pour rire, qui a connu Postigo sur la pièce Neuf. « Pour un producteur, c'est super agréable de travailler avec un artiste comme Serge, parce qu'il dédramatise les problèmes et propose toujours des solutions. »

En effet, Postigo déteste les conflits, les tensions. Il aime travailler dans l'harmonie. Pour que le show soit bon, mais surtout pour éviter d'être malheureux. 

« Ce n'est jamais compliqué avec Serge. Il est gentil, agréable. Il n'arrive pas en répétitions avec ses angoisses », souligne le producteur et comédien Jean-Bernard Hébert, qui a engagé l'acteur et sa conjointe, Karine Belly, au Théâtre de Rougemont à l'été 2015. « Après chaque représentation, Serge restait pour discuter jusqu'à minuit avec des spectateurs dans le hall. Et ce n'est pas moi qui lui demandais ça. »

Serge Postigo fait bonne impression partout où il passe. Pourtant, certains le trouvent ambitieux, voire arriviste... « Serge n'est pas arriviste ! rétorque Marina Orsini. Il profite simplement des occasions qui se présentent à lui. Il saisit la balle au bond. »

Fabienne Larouche dit qu'elle peut travailler avec lui n'importe quand : « Je n'ai jamais été déçue quand je l'ai engagé dans mes séries. Serge est toujours à la hauteur du rôle. Il ajoute des couches et amène le personnage encore plus loin que ce qui est écrit dans le texte. C'est très rassurant pour un auteur. »

Dans Music-Hall, Postigo jouait un trompettiste. La veille du tournage d'une scène où il devait jouer de la trompette, l'acteur est tombé du toit de sa maison en réparant une gouttière. Et il s'est fracturé les doigts...

« Malgré la douleur, Serge est arrivé sur le plateau à 6 h du matin, le teint blême et une main cassée. Il ne voulait pas rater une minute de tournage. On a triché avec le réalisateur [Alain Desrochers] pour que ça ne se voie pas à l'écran », raconte Fabienne Larouche.

Quatrième acte: le sprinter

« Il n'y a qu'une façon d'apprendre, c'est par l'action. » Cette citation est tirée d'un livre qui a changé la vie de Serge Postigo : L'Alchimiste de Paulo Coelho. L'homme carbure à l'action.

Plus jeune, Serge Postigo était très sportif. Il a fait des arts martiaux et des compétitions en badminton, en saut en hauteur et au 100 m. Il a participé aux Jeux du Québec en handball. « Malheureusement, je ne pratique plus aucun sport. J'ai BEAUCOUP de difficultés à m'entraîner », dit celui qui travaille sept jours sur sept.

« J'ai toujours pratiqué des sports d'impulsion et qui demandent beaucoup d'énergie sur une courte période, dit-il. Courir sur un tapis ou son équivalent me donne de l'urticaire. Je suis un coureur de 100 m. Je marche tant qu'on n'est pas près de l'arrivée. Parfois le déclic se fait aussi juste avant la ligne d'arrivée... »

En juillet 2015, Serge Postigo décide d'organiser des auditions libres pour le casting de Mary Poppins. Un choix qui ne plaît pas à tout le monde dans le beau milieu, et qui déclenche une polémique dans les médias et les réseaux sociaux. Il a été blessé par certaines critiques, dont l'une sur Facebook par Michel Tremblay. (L'auteur avait qualifié l'entreprise de « bullshit » !) « Je crois que Tremblay n'a pas compris. Il pensait que je faisais ça au détriment des acteurs professionnels. »

Postigo ne regrette rien. « J'ai été honnête avec moi-même », dit-il.

« Aujourd'hui, je suis conforté dans mon choix d'élargir les auditions. »

D'ailleurs, il a répété la formule pour Footloose. En deux ans, il a auditionné 850 personnes : des professionnels inscrits dans les agences (60 %) ; des quidams (20 %) ; et une même portion d'artistes professionnels sans agent, qui, selon lui, n'ont jamais accès aux auditions : « C'est pour eux que je fais des auditions libres. Hélas, dans notre milieu, l'innovation dérange le monde. »

Footloose, qui prend l'affiche le 14 juin, raconte le malheur des habitants d'un village où un règlement interdit la danse ! Alors, des citoyens se réunissent en cachette afin de monter un spectacle dansant. En plus de la mise en scène, Postigo signe l'adaptation et la traduction. Il a situé l'action dans un village de la Saskatchewan, au début des années 80. « Pour illustrer le cloisonnement culturel des citoyens du village, il faut que l'époque soit avant le web et l'internet. »

Cinquième acte: le gestionnaire

À 48 ans, Serge Postigo a exploité (presque) toutes les facettes de son métier. Acteur, animateur, metteur en scène, traducteur, programmateur... même rénovateur (pour l'émission À vos marteaux à la chaîne Historia, il y a 10 ans).

Ce n'est pas par hasard si Gilbert Rozon l'a fait entrer à Juste pour rire. D'abord, comme metteur en scène et directeur artistique, puis comme vice-président création à la programmation du Groupe Juste pour rire. Il a tout de suite pensé à lui comme commissaire adjoint aux célébrations du 375e anniversaire de Montréal. « Il existe peu d'artistes au Québec dont le coffre à outils est énorme comme celui de Serge, dit Gilbert Rozon. À mes yeux, à l'instar de Denise [Filiatrault], Serge est un trésor national ! »

Tellement, que le Dragon a investi dans ce trésor. Il a payé les droits de scolarité de Postigo (environ 30 000 $ par année), afin que celui-ci obtienne un EMBA (un MBA exécutif) à l'Université McGill/HEC Montréal. Le producteur et fondateur de Juste pour rire voit à long terme. Il aimerait que Postigo retourne à la programmation du Groupe, après les célébrations de 2017...

« Est-il votre dauphin, M. Rozon ? 

- Nous avons une vision artistique semblable. Serge fait des spectacles populaires, sans sous-estimer l'intelligence du public. Il a une vision globale du métier. Tout en étant capable de mettre son ego de côté pour la réussite du show... Serge et moi avons en commun un trait de caractère, poursuit Rozon. À mes yeux, c'est une belle qualité en affaires : on ne rumine rien. On se dit toujours ce qu'on pense vraiment, sans se ménager. On aime la transparence dans notre travail. »

Par contre, le principal intéressé est plus à l'aise dans la chaise d'un metteur en scène que dans celle d'un vice-président. « J'adore Gilbert ! Je l'aime énormément, avec toute la complexité du personnage, réplique Postigo. Mais je suis un créateur. Si je m'attache à une chaise de bureau, je vais devenir incompétent. Et malheureux. »

Parcours éclectique

Lorsqu'on regarde le CV de Serge Postigo, l'éclectisme de son parcours saute aux yeux. De Claude Gauvreau à Mary Poppins, de Molière à Maxime Landry, de Goldoni à Mario Tessier, de Grease à Urgence, en passant par Tartuffe, Ça manque à ma cultureLadies Night... Le grand écart, Postigo, le pratique aussi dans ses choix de carrière.

« Je me nourris autant, artistiquement, en travaillant avec Gregory Charles, Sylvain Larocque ou Mario Tessier, qu'avec mes camarades de théâtre ou de téléroman, explique Postigo. Lorsque je signe un show de Maxime Landry au Centre Bell, par exemple, j'apprends sur mon métier. Une équipe technique au Centre Bell, ce n'est pas pareil qu'au Quat'Sous ou à Espace GO. »

Selon son grand ami Mario Tessier, « Serge est tombé dans la marmite du talent quand il était petit. » Pour Seul comme un grand, le metteur en scène a dirigé l'humoriste comme un acteur de théâtre, dans la vérité de l'émotion. Et ça marche !

« Serge est très exigeant, perfectionniste. Il est parfois impatient si les choses n'avancent pas assez vite à son goût », dit Mario Tessier.

Son impatience, dans la vie comme dans les répétitions, est souvent pointée par ses proches. Et quand le presto saute, le Méditerranéen est bouillant. Il sacre, il piaffe et il fulmine. « C'est un défaut, je sais. Mais je déteste me répéter, attendre, ne rien faire », explique-t-il.

Selon son agente qui le représente depuis 25 ans, Nathalie Duchesne, Postigo a « l'énergie d'une pile Duracell : il ne se fatigue jamais ». L'homme a 48 ans, une femme qu'il adore, trois beaux enfants, une carrière exceptionnelle. Est-il heureux dans le tourbillon de sa vie ? « Je ne suis pas toujours équilibré, mais je suis heureux, répond-il. J'aimerais prendre plus de temps pour moi, mon couple, ma famille... » 

« La vie était bien plus calme avant, lorsque j'étais acteur... »