Passionnée de Marcel Proust, Sylvie Moreau rêve depuis longtemps de transposer l'imaginaire de l'auteur français sur les planches. C'est chose faite avec Dans la tête de Proust qu'elle a écrite et mise en scène.

Sylvie Moreau a tout lu Proust. Elle a tout lu également ce qui s'est écrit sur l'auteur d'À la recherche du temps perdu. Sa pièce Dans la tête de Proust lui permet d'entrer dans l'imaginaire du Français qui a révolutionné l'art du roman il y a un siècle.

«C'était le premier auteur contemporain. C'est fou d'en parler comme une vieillerie, il est encore de notre époque. Il nous dit qu'il faut s'intéresser aux autres et à nous-mêmes, chercher à les connaître et à les comprendre, en dépassant la caricature qu'ils sont parfois. Sa vision est impitoyable, mais empreinte de compassion aussi.»

«Son processus de création et sa vie m'intéressent aussi, ajoute-t-elle. Cela a guidé ma propre vision de l'art, du théâtre, mon regard sur la beauté. Humainement, son oeuvre m'a profondément transformée aussi. J'ai compris, avec le temps, l'acuité de son regard sur l'humain.»

Un parachute de 3000 pages

Avec passion, Sylvie Moreau s'est donc lancée dans le vide avec un parachute composé de plus de 3000 pages qu'elle a lues à l'âge de 23 ans un été au bord du fleuve. Encouragée par ses complices d'Omnibus, Jean Asselin et Réal Bossé, qui jouent dans la pièce, elle a accouché d'un texte qui se veut profond et amusant à la fois.

«C'est très ludique dans le fond. Je veux essayer de donner au spectateur l'émoi qui m'a été donné par cette oeuvre-là.»

«L'idée n'est pas de monter À la recherche du temps perdu sur scène, mais de mettre en scène cet homme couché dans son lit qui, pendant huit ans, s'est consacré totalement à une oeuvre. Tous ses amis sont partis à la guerre, ça devient gênant pour lui d'aller dans des salons mondains. Sa santé est fragile. C'est ce qui l'a amené à écrire à 38 ans.»

Une guide (Isabelle Brouillette) invitera les spectateurs à entrer dans la chambre de Proust. L'auteur (Pascal Contamine) sera couché dans son lit, près de sa confidente Céleste (Nathalie Claude). Puis, ses personnages émergeront autour de lui. Un Proust vulnérable, touchant.

«J'avais une envie de démystifier cette peur non avenue de Proust. Des phrases interminables, des histoires de bourgeois... pourtant Millenium c'est long, Harry Potter aussi. Les gens se fient à des lieux communs au lieu de regarder vraiment une oeuvre.»

L'amour des mots

Cette introduction à l'auteur français passe évidemment par l'amour de la littérature, du style, des mots. De l'imaginaire de Proust. «Il décrit tellement bien le monde et les gens de façon dense, riche. Ses personnages sont vraiment formidables pour le théâtre. Il y a de vrais extraits de l'oeuvre dans la pièce. C'était important d'avoir accès à cette littérature.»

Avec ces spécialistes du mime et du théâtre corporel que sont les membres d'Omnibus, on peut s'attendre également à ce que les corps parlent, participent à un «dire autrement» poétique. «Contrairement aux faits alternatifs, la poésie ne se présente pas comme la vérité, elle n'a pas cette prétention», dit-elle.

«La poésie tente de parler du réel autrement pour nous donner un autre regard. Je trouve que nous en avons besoin.»

Esprit libre

Parler de Proust, se l'imaginer, fabuler à son sujet et le pasticher, c'est entrer dans une autre dimension. Out le réalisme et le quotidien! In la tempête, la folie d'un esprit libre!

Grâce à Proust, qui écrivait comme nul autre, Sylvie Moreau n'a jamais voulu faire du théâtre comme les autres non plus. La sensibilité extrême de Proust et sa vision le permettent, croit-elle.

«Je suis très confortable dans la marge et avec la marge. C'est de là qu'émergent beaucoup de choses. C'est important de voir qu'il n'y a pas que le concret dans la vie. Ce n'est pas vrai qu'on doit tout montrer tout le temps. Il faut poétiser le réel.»

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À Espace libre du 21 février au 18 mars.