Didier Lucien se fait son théâtre avec Ai-je du sang de dictateur?, pièce qu'il a écrite sur sa relation avec Haïti. Un solo pour son retour au théâtre parce que le téléphone ne sonne jamais pour l'inviter sur les planches.

Didier Lucien s'ennuie. Du théâtre et au théâtre. Il aime la diversité, voyez-vous? Il a ça dans le sang.

«Il y a plein de shows auxquels je n'aurai jamais accès. Cela fait en sorte que je fais mes propres affaires. Je n'irai pas quémander quoi que ce soit à qui que ce soit. Je me suis préparé des projets sur une période de 10 ans au lieu d'attendre le coup de fil qui ne viendrait pas. Mon prochain show sera avec une femme noire!», fait-il en souriant.

«Tout manque à ce niveau, poursuit-il. Entendre des voix et des rythmes différents. Ça devient ennuyant d'entendre toujours la même musique dans des pièces de théâtre. Le public n'est pas diversifié non plus: 99 % du temps, quand je vais voir une pièce ou que je joue dedans, je suis le seul Noir dans la salle», dit-il

Il se rappelle les beaux jours d'André Brassard à l'École nationale, qui avait monté Les belles-soeurs en 15 langues et où il jouait en créole. Il y a aussi joué La bonne âme du Se-Tchouan, présentée en ce moment au TNM.

«[La bonne âme du Se-Tchouan], ça se passe en Chine. Ils le font avec des Blancs, c'est correct. Mais si ça se peut avec des Blancs, pourquoi ne pas avoir un acteur noir?»

«Je l'ai jouée à l'École et je savais que ça n'arriverait plus jamais. Autre chose: même au niveau de l'accent québécois, il n'y en a qu'un au théâtre, alors qu'on connaît très bien les accents de Chicoutimi ou de Thetford. Ce n'est pas le public, ce sont les directions artistiques qui ne veulent pas entendre la diversité. Moi, ça m'intéresse.»

Seul sur scène

Il la jouera à sa façon au cours des prochains jours, seul en scène pendant 80 minutes dans Ai-je du sang de dictateur? Place à Haïti, à Duvalier, au dictateur... avec lequel il n'a aucun lien de parenté. 

«C'est une drôle de question à poser, non? J'avais vu un documentaire sur les enfants de criminels nazis. Ils ont eu une vie atroce. Même s'ils n'ont jamais rien fait de mal, leur nom de famille les a marqués à vie.»

Et même s'il parle de la Perle des Antilles, qu'il lira des discours de Duvalier et que seront projetées des images d'archives, ce n'est pas un spectacle sur Haïti, précise-t-il.

«C'est plus sur la position dans laquelle je me retrouve: né en Haïti, mais ayant vécu ici, avec ma culture 100 % québécoise.»

C'est du sérieux

Et si on attend ce champion de l'impro dans une comédie pure, les gens risquent d'être également surpris.

«C'est plus sérieux que moi. J'y raconte un peu l'histoire d'Haïti. Ce n'est pas très drôle, mais j'avais besoin de ça pour raconter mon histoire à moi.» 

«Il y a une partie documentaire, mais tout n'est pas vrai à mon propos. J'ai cherché pendant un an à trouver des discours-fleuves de Duvalier. C'est du Shakespeare.»

Il a collaboré étroitement avec Guillaume Chouinard à la mise en scène du texte, qu'il a mis près de quatre ans à écrire. Si on le voit peu au théâtre, il demeure, par ailleurs, très actif à la télé en ayant tourné dans deux séries cette année: Marche à l'ombre (Séries+) et The Art of More (série américaine avec Dennis Quaid).

Au printemps, il dirigera un spectacle des étudiants de l'École nationale de cirque. Il a d'ailleurs travaillé à deux spectacles du Cirque du Soleil récemment.

«J'aurais aimé aller à l'École de cirque, je voulais être maître de piste. J'ai failli le faire, l'an passé en Afrique, avec le Cirque du Soleil, mais en raison de problèmes politiques, le show a été annulé quatre jours avant le départ. À l'École de cirque, il y a des jeunes de partout dans le monde. Comme j'avais le goût de faire une danse maorie, un étudiant néo-zélandais, qui connaissait ça très bien, m'a expliqué comment faire.»

Ah, la diversité!

______________________________________________________________________

Ai-je du sang de dictateur? est présenté à Espace libre jusqu'au 11 février.

Photo Bernard Brault, La Presse

Même s'il parle de la Perle des Antilles, qu'il lira des discours de Duvalier et que seront projetées des images d'archives, Ai-je du sang de dictateur n'est pas un spectacle sur Haïti, affirme Didier Lucien. «C'est plus sur la position dans laquelle je me retrouve: né en Haïti, mais ayant vécu ici, avec ma culture 100 % québécoise.»