Yaya Coulibaly est un concepteur et marionnettiste africain. Issu d'une famille de marionnettistes du Mali, il possède une impressionnante collection de 20 000 marionnettes, provenant de ses aïeux; certaines remontent au XIsiècle et ont été exposées au Musée de l'Or africain, au Cap.

Pour la production du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE) Sounjata, une centaine des marionnettes de sa collection ont traversé l'océan pour la première fois. Un beau cadeau pour le Canada.

Or, Coulibaly a failli ne jamais pouvoir entrer au pays... La première de Sounjata a même été reportée d'une semaine. Coulibaly et un autre interprète n'avaient pas obtenu leur visa de l'ambassade à Dakar (le Canada n'offre pas de services de visa et d'immigration à Bamako), malgré leurs démarches. Finalement, Yaya a pu entrer au Canada mercredi dernier, mais pas Mamadou Koné, remplacé au pied levé par Philippe Koné.

«J'ai 58 ans, j'ai fait 30 fois le tour du monde et je n'ai jamais eu de problème de visa auparavant. Pourquoi ça arrive avec le Canada?», s'interroge Coulibaly, rencontré à Espace Libre après une représentation cette semaine.

La forteresse canadienne

Le problème n'est pas nouveau. «Or, la situation s'est aggravée sous le gouvernement Harper, estime Alexis Martin, qui signe le texte et la mise en scène du spectacle. Depuis 10 ans, on a sabordé le réseau d'ambassades dans les pays d'Afrique de l'Ouest, si bien que pour les francophones, il ne reste que Dakar pour traiter les dossiers.»

«C'est un peu gênant, la façon dont les demandeurs africains sont traités», poursuit le comédien qui, en passant, est connu au Mali, car on y diffuse l'émission Les Parent. «Ça nuit à la réputation du Canada. Nous avons autant à apprendre des Africains qu'ils ont à apprendre de nous.»

Alexis Martin est l'initiateur du projet. «J'ai rencontré Yaya en 2011 au Festival de théâtre de rue de Marrakech, raconte-t-il. J'ai voulu mêler l'art de la marionnette malienne au savoir-faire québécois. Le grand acteur et conteur malien Habib Dembélé [un croisement entre Guy Nadon et Benoît Brière!] s'est joint à nous.»

Québec-Maroc-Mali

Pour mélanger les cultures en explorant de nouveaux territoires de création - et l'Afrique est un territoire sous-représenté dans l'imaginaire d'ici -, le codirecteur du Nouveau Théâtre Expérimental a programmé cette coproduction Québec-Maroc-Mali. Avec l'idée d'avoir un point de vue québécois sur l'histoire malienne ancienne, pour raconter le mythe fondateur du Mali: la légende de Soundiata Keïta, qui prônait l'égalité et la liberté pour tous.

Les comédiens Steve Laplante et Karine St-Arnaud jouent deux agronomes québécois qui débarquent à Bamako. Un musicien marocain, Zakariae Heddouchi, complète la distribution.

«Le monde est malade parce qu'il n'a pas de repères. La marionnette n'est pas faite pour distraire les gens: elle est faite pour enseigner. C'est un objet de cohésion sociale en Afrique», estime le marionnettiste Yaya Coulibaly.

Le spectacle confronte donc le rationalisme de l'Occident à la mythologie africaine. Dembélé joue le griot, un conteur et narrateur qui incarne «la parole contre le temps».

«Sounjata est un objet bigarré, pas lisse, mais j'espère que le public sera curieux de voir ça», conclut Martin.

À l'heure où l'on n'a jamais autant parlé de métissage et de diversité au théâtre, le spectacle du NTE arrive à point.

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À Espace Libre jusqu'au 8 octobre.