Une première rencontre comme un premier amour. Épris l'un et l'autre de leur parcours respectif, Denis Marleau et Emmanuel Schwartz préparent pour le Théâtre du Nouveau Monde un Tartuffe qui s'annonce comme un moment important de cette saison théâtrale.

C'est déjà un beau moment de théâtre. Voir Emmanuel Schwartz, les mains croisées, comme en prière, boire les paroles de Denis Marleau, enjoué, loquace au sujet d'un chef-d'oeuvre du répertoire. 

«J'étais un peu incrédule que Denis Marleau m'appelle. Je lui avais dit que ce serait chouette de se trouver un jour. Je jouais Trois avec Mani Soleymanlou quand il m'a appelé. C'était une proposition d'envergure comme je les aime. Le grand artiste qu'est Denis, la visibilité que ça donne et Molière!», avoue le comédien qu'on a vu dans des propositions plus... radicales.

«Je ne crois pas que Tartuffe, c'est moins radical, dit celui qui avait joué au TNM dans Richard III et En attendant Godot. Même si j'ai envie de théâtre éclaté, je n'ai pas l'impression d'être ici dans quelque chose de moins pertinent ou intéressant. Je suis entre de très bonnes mains et je n'ai pas la sensation de me mesurer à d'autres Tartuffe.»

Versions

Denis Marleau, de son côté, affiche le sourire de quelqu'un qui a découvert le bijou d'acteur qu'il lui fallait. 

«Pour le metteur en scène et l'acteur, dit-il, le défi, c'est de rencontrer le langage. Comment se le réapproprier et se raconter une histoire entre nous? Malgré et avec la versification. Le langage est génial. C'est un impulseur de jeu. Les acteurs doivent savoir étendre leur interprétation entre la farce et le drame.»

Plus de 300 ans après l'écriture de la pièce, on retrouvera Tartuffe, Orgon et Elmire en 1969 au Québec, en pleine Révolution tranquille. 

«Il y a un renversement des valeurs, des contestations de l'autorité, l'ordre ancien et l'ordre nouveau entrent en collision. La pièce raconte une histoire de famille où parents et enfants vivent un choc des générations.»

Dans ce contexte instable, un imposteur comme Tartuffe a les coudées franches pour s'imposer et profiter des uns et des autres. 

«Tartuffe est un grand comédien, note le metteur en scène. Il sait jouer tous les rituels. Il sait prendre les postures liées à une générosité, un sacrifice de soi. On peut admirer son art du comédien. Orgon lui donne presque tout. Il y a peut-être une relation ambiguë entre les deux. Tartuffe réussit à extirper cette part d'ombre en chacun.»

Lectures

Si Tartuffe, ou le thème de l'étranger qui séduit tout un chacun, a connu tant d'adaptations différentes - qu'on pense au Teorema de Pasolini au cinéma ou à celui de la Schaubühne allemande au FTA en 2015 -, c'est que le texte de Molière suggère plusieurs lectures. 

«Toutes ces choses se sont ouvertes pour moi dans la lecture que Denis et Stéphanie [Jasmin] ont faite. On est dans une période d'excès dans le monde, il faut bien que notre théâtre soit à son image», fait valoir Emmanuel Schwartz.

On le sent dans leurs regards et le respect qu'ils se portent. Ces deux-là ont eu un malin plaisir à fouiller Tartuffe

«On est dans une vraie exploration d'un univers à la fois poétique, lié à une forme de langage, et à la fois celle d'un univers qui n'est pas sans résonance avec le nôtre. On est très concret dans notre manière de travailler», résume Denis Marleau. 

Vers

Mais un texte en vers vit-il bien dans le Québec des années 60?

«Ce qui me frappe et me stimule, c'est la complexité et la modernité de toutes ces idées rassemblées dans une forme d'économie que le vers représente, affirme le comédien. Denis décloisonne la langue et nous redonne accès à toute sa richesse.»

«À toute la pensée qui sous-tend le vers, poursuit le maître. Une pensée parfois politique, sociale... Comment arrive-t-on à faire entendre ça? Il faut habiter le texte. Le vers est magnifique quand il est assumé et porté complètement.»

Vérité

Mais comment Tartuffe réussit-il si bien à tromper les gens autour de lui, dont Orgon (Benoît Brière)?

«Si on voit dès le début que c'est un imposteur, la pièce est jouée. Pourquoi Orgon ne le voit pas, ce n'est pas parce qu'il est con. Il a des principes et s'est enfermé dans sa logique à lui. Il est abusé sans avoir le moindre doute quant à la sincérité de Tartuffe, qui porte un masque double. C'est un lieu de projection, un masque.»

Un lieu de tous les périls, de tous les mensonges. 

«On est tous dupes à un moment ou à un autre et on n'est pas idiots pour autant, souligne Denis Marleau. Parfois on est affaiblis, plus vulnérables, parce que nos repères ont changé. C'est là que des comportements peuvent émailler le doute et profiter de la situation. Pensons à l'Ordre du temple solaire. On a vu des gens éduqués se laisser berner par de faux prophètes. Tartuffe nous parle réellement.»