Le milieu du théâtre vit-il une crise des générations ?

Dans un coup de gueule publié sur le site de la revue Jeu, la jeune auteure Annick Lefebvre tire à boulets rouges sur Ginette Noiseux, à la barre d'Espace GO depuis 26 ans. L'auteure de J'accuse critique ouvertement sa direction artistique et déplore, entre autres, la place restreinte qui y est accordée aux nouvelles voix de femmes en création.

« Jeunisme », mépris des institutions, ou saine réflexion sur l'avenir de la pratique théâtrale au Québec ? Le débat est ouvert.

« Ça remonte à quand, la découverte d'une auteure québécoise à l'écriture singulière et à la voix forte à Espace GO ? », écrit l'auteure et codirectrice artistique du prochain Festival du jamais lu.

« Un Evelyne de la Chenelière monté par Denis Marleau ou un vieux Marie Brassard remonté par Marie Brassard, ça ne représente en rien une nouvelle manière de dire et de voir le monde. »

- Annick Lefebvre, dans son billet

Son texte intitulé « Go à quoi ? » a suscité vendredi une centaine de partages et de commentaires, dont ceux de Carole Laure et de Louise Latraverse - pas tout à fait des artistes de la relève. « Est-ce que les directions artistiques d'un théâtre devraient changer de personne aux 5 ans ? a commenté Latraverse. Afin de donner la chance à plusieurs de s'exprimer et d'apporter du renouveau. »

RÉPLIQUE DE GO

Jointe vendredi après-midi, Ginette Noiseux s'est dite stupéfaite par « ce coup de poing au visage ». « Je trouve la critique saine, mais elle doit se faire dans un esprit ouvert au dialogue, à la discussion. »

Ce qui n'est pas le cas, selon Mme Noiseux, car la rédaction de Jeu lui aurait refusé la possibilité de répliquer : « Je savais que la revue publierait cette lettre depuis un mois. Le rédacteur en chef m'a répondu que je pouvais m'exprimer sur le site internet de la revue, pas dans la revue », qui sera en kiosque le 13 avril.

« Au lieu d'un débat constructif autour d'un symbole du théâtre féministe dans la Cité, Jeu a préféré publier un coup de gueule malhonnête, bourré d'amalgames et d'allégations. C'est un monologue. »

- Ginette Noiseux

UNE NOUVELLE VOCATION

Dans sa lettre, Annick Lefebvre, 35 ans, estime que l'ancien Théâtre expérimental des femmes ne donne pas de place aux nouvelles voix féminines de sa génération. Si l'esprit du collectif féministe des fondatrices s'est métamorphosé depuis la fondation du TEF, en 1979, Mme Noiseux avance que toutes les productions des dernières années ont mis les femmes artistes de l'avant.

« Et l'Espace GO est le seul lieu culturel au Québec où l'on trouve les signatures de 100 femmes coulées dans le bronze à l'entrée. »

Or, c'est trop peu pour Annick Lefebvre. Selon elle, Espace GO est devenu « un théâtre bourgeois-mais-funky-pour-sauver-les-apparences » !

« Je trouve ça louable que tu accueilles des artistes en résidence, écrit-elle à Noiseux sur un ton très personnel, bien que les deux femmes ne se soient jamais rencontrées. Mais t'associer à Sophie Cadieux ou à Evelyne de la Chenelière ne représente pas un très grand risque artistique [...]. [Ce sont] des artistes consensuelles et consacrées. »

Éric Jean, qui vient d'annoncer qu'il quittait la direction du Quat'Sous à l'automne, a aussi réagi vendredi à la lettre de Lefebvre sur Facebook. « Le problème ne concerne pas que l'Espace GO, écrit-il. Il est plus large. Le théâtre au Québec n'a malheureusement plus la liberté de prendre de vrais risques, trop condamné à programmer des succès assurés défendus par des artistes connus du public et devenus des valeurs sûres. Et l'idée n'est pas de tasser les gens connus, mais de trouver un réel équilibre. »

« La transmission, ça ne va pas juste dans un sens, conclut Ginette Noiseux. Je trouve ça dur qu'on fasse du bashing entre féministes. À la base du mouvement des femmes, il y a l'idée que des voix plurielles puissent s'asseoir à la même table pour discuter entre elles. »

Pas seulement faire la place aux plus jeunes, aux plus fous, pour faire danser les bougalous.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Annick Lefebvre (à gauche) est codirectrice artistique du prochain Festival du jamais lu.