La sulfureuse Béatrice Dalle est venue à plusieurs reprises à Montréal, et elle devrait revenir dans les prochains jours pour répéter et créer, avec son mentor David Bobée, le spectacle multimédia Lettres d'amour et l'interpréter sur la scène de l'Espace Go. La mythique Betty Blue de 37,2 le matin, qui met le feu aux écrans de cinéma depuis 30 ans, nous a raconté ce qui l'avait menée au théâtre et pourquoi elle ne peut plus s'en passer.

C'est grâce au cinéaste Jim Jarmusch que Béatrice Dalle est venue à Montréal la première fois. C'était au début des années 90, après le succès fulgurant de 37º2 le matin. Béatrice, la bombe sexuelle du grand écran, et Jim, le prince du cinéma indépendant new-yorkais, étaient amoureux. L'histoire d'amour n'a pas duré, mais Béatrice est revenue à Montréal pour les promos des films d'Olivier Assayas et de Claire Denis, puis avec son amoureux du moment, JoeyStarr, leader du groupe rap français NTM, qu'elle suivait en tournée. À Montréal, elle passait en coup de vent, ce qui ne sera pas le cas pour les deux prochains mois.

Béatrice devrait bientôt s'installer à demeure à l'Espace Go, boulevard Saint-Laurent, pour y travailler, avec le metteur en scène français David Bobée, à l'écriture en plateau de Lettres d'amour, un spectacle multidisciplinaire tournant autour des lettres du poète Ovide. Seule dans une chambre d'hôtel, Béatrice redonnera vie aux figures mythologiques de Pénélope, Didon, Phèdre et Ariane à travers leurs lettres, avant de conclure avec une lettre signée Evelyne de la Chenelière, tout cela au nom de l'amour, sujet que Béatrice Dalle connaît trop bien.

Par amour, Béatrice Dalle a fait des folies, des conneries, des bêtises. Par amour, elle a mis sa carrière entre parenthèses pendant près de 10 ans, entre 40 ans et 50 ans, après avoir épousé en prison Guénaël Meziani, un détenu incarcéré pour viol et séquestration. «J'ai perdu de belles années de ma vie, mais au moment où tu le vis, tu ne calcules pas, et moi, s'il y a une chose dans la vie que je ne sais pas faire, c'est calculer», me lance-t-elle en s'allumant une cigarette.

Par «amour» pour David

Nous sommes au début février dans une loge éclairée au néon du théâtre Le Quai à Angers, en France. Depuis plus d'un an et demi, Béatrice Dalle tourne dans tous les théâtres de la France profonde sous la direction de David Bobée, 36 ans, un des artisans du renouveau théâtral en France.

Tous les soirs, l'ex-Betty Blue de 37º2 le matin se glisse dans la peau de Lucrèce Borgia, personnage à la fois monstrueux et déchirant, magnifié par la plume de Victor Hugo. Or, même si, depuis 30 ans, Béatrice a joué dans une cinquantaine de films, elle n'avait jamais fait de théâtre.

«Mais ce n'est pas de faire une pièce qui m'intéresse, c'est de travailler avec David, précise-t-elle. Le reste, je m'en fous. Au cinéma, c'est pareil: ce qui compte, c'est l'envie et le désir du metteur en scène et le projet qu'il me propose.»

«Je compare ça souvent avec l'amour: tu tombes amoureuse d'un mec. Tu ne sais pas où ça va t'amener, mais tu y vas. En général, dans ma vie privée, ça m'amène dans le mur, mais rarement dans ma vie professionnelle.»

Je l'attendais avec appréhension dans les coulisses du théâtre, ayant lu des comptes rendus de journalistes qui avaient pris le TGV comme moi pour venir l'interviewer et qu'elle avait fait poireauter pendant des jours.

À l'heure indiquée, pourtant, je la vois émerger au sommet de l'escalier qu'elle descend en chaloupant. Jeans et pull noir, gros anneaux dorés sous ses cheveux remontés, elle salue tout le monde, chatouille Oscar, le petit-fils de l'actrice Catherine Dewitt, déconne, rigole, dit qu'elle est claquée et, après s'être fait un sandwich au jambon, se retourne et m'offre le plus chaleureux des sourires. Soulagement.

J'ai des millions de questions à lui poser et je sais qu'avec elle, il n'y aura ni filtre ni censure. Béatrice Dalle est incapable de faire semblant. Elle n'ouvre la bouche que pour dire ce qu'elle pense. Et ce qu'elle pense, en ce début d'entretien, c'est que sa photo sur l'affiche des Lettres d'amour est à chier. Elle n'est pas contente. La direction de l'Espace Go le sait, mais elle le répète pour bien marquer son point, puis, dans le même souffle, elle se réjouit de sa venue à Montréal.

«Montréal, j'adore, dit-elle avec un sourire surdimensionné. Comment on dit: les Montréaliens? Ouais ben, ils sont cool. Ils ont le bon côté des Ricains et le bon côté des Français et ils ne font pas chier. J'espère qu'il va faire très froid, parce que le froid, j'adore. Tu me mets sur une plage aux Seychelles et j'ai envie de me suicider. Dans le froid, je revis!»

Voilà, la conversation est engagée. Je lui demande si elle connaît Xavier Dolan comme s'il existait encore une actrice au monde qui ne le connaissait pas. Une pluie de compliments sort de sa bouche en coeur. On y reviendra.

Je veux savoir comment elle vit avec le fait de ne pas être une actrice de théâtre, de n'avoir ni formation ni technique, et de se retrouver malgré tout sur scène chaque soir. «Je vis super bien avec ça. D'abord, je suis entourée d'une troupe d'acteurs bienveillants qui ne me jugent pas et avec qui je m'entends super bien. J'aime les équipes, j'aime l'atmosphère quand on est tous ensemble après le spectacle et qu'on fait la queue aux douches comme au camping. J'aurais été un garçon que j'aurais été légionnaire.»

Il y a un côté grégaire chez Béatrice Dalle, côté qui risque d'être un peu frustré à Montréal où elle sera pratiquement seule en scène, hormis un acrobate et les trois musiciens de Dear Criminals. Voit-elle cela comme un défi?

«Les défis, tu sais, je m'en fous. Quand on dit que les gens au théâtre ou au cinéma prennent des risques, j'ai presque envie de rire. Un pompier prend des risques. Pas un acteur. Le soir, on rentre dans de beaux hôtels. On est choyés, on s'occupe de nous. On est des assistés, total. Alors je trouve ça un peu déplacé de dire qu'on prend des risques. On n'en prend aucun.»

Comme un soldat

Quand Béatrice Dalle s'avance sur scène, elle ne pense pas au public. Elle cherche plutôt à l'oublier. Tout ce qui compte pour elle, c'est son patron, son mentor, son metteur en scène.

«Quand David est là, je joue pour lui. Au travail, je suis un soldat. Je fais ce que le patron me dit. Je l'écoute docilement. Je ne suis pas une intello, je n'ai pas fait de longues études et pourtant, j'ai des gens hyper pointus qui viennent vers moi et j'en suis flattée. Je n'en fais pas un complexe d'infériorité. Je me dis que si des gens comme Claire Denis ou David viennent vers moi, il y a des raisons. Et le fait de ne pas avoir de formation technique, ça ne me dérange pas trop parce que je vois que les metteurs en scène aiment bien ça.»

«D'ailleurs, quand Beineix faisait son casting pour 37 º2 , la dernière chose qu'il voulait, c'est une fille qui sortait d'une école. Une actrice très connue avait accepté le rôle, mais Beineix s'est battu pour que ce soit moi. Je lui en serai éternellement reconnaissante.»

Nous reparlons une dernière fois d'amour alors que Béatrice s'allume une énième cigarette. Je veux savoir ce qu'elle pense des héroïnes comme Pénélope, Phèdre ou Ariane, qui ont toutes été plaquées, abandonnées sur les rivages de l'amour. «Quand je lis la lettre de Pénélope, j'ai envie de lui dire: calme-toi, prends-en un autre. Tu ne vas quand même pas l'attendre pendant 20 piges! Mais bon, c'était comme ça dans la Grèce antique.»

Pas rien que dans la Grèce antique. Dans la France d'aujourd'hui, Béatrice Dalle a été une Pénélope à sa manière. Pendant huit longues années, elle a attendu que celui qu'elle avait épousé en prison en sorte. Puis peu de temps après sa libération, les choses ont mal tourné. Béatrice a demandé le divorce pour cause de violence conjugale. Une histoire regrettable?

«Moi, je ne regrette rien. Même pas mon mariage calamiteux. Moi, j'y croyais; c'est lui qui a déconné. Reste qu'il y a un truc complètement romanesque d'être avec un mec en taule et de n'avoir droit à rien. Si t'as droit à tout, c'est la farandole des desserts et après, t'as plus de désirs. Mais quand t'as droit à rien, le moindre truc te fait frémir de désir. Et puis ce n'est pas pour rien si je suis tombée amoureuse d'un mec avec qui le quotidien était impossible. Le quotidien avec un mec, je ne peux pas. Même avec Didier [JoeyStarr], ça a duré 10 ans, mais on n'a jamais vécu ensemble.»

Le cendrier devant nous est plein. Béatrice se lève, s'étire, darde un dernier sourire gamin dans ma direction et part retrouver l'astre noir de Lucrèce Borgia. Je repense à ces paroles de Beineix: «Béatrice, c'est un alcool fort, un composant instable à forte capacité détonante.» Subitement, j'ai très hâte de voir Béatrice Dalle arriver à Montréal.

Paroles de Béatrice

Sur Xavier Dolan: «Je ne le connais pas, mais j'aimerais bien. Oh là là! Ce qu'il est bien, ce mec. Il est beau, en plus. Il adore les femmes et ça se voit! Incroyable qu'un mec si jeune fasse des films pareils. Je connais tous ses films. Il a un talent de dingue et ce serait trop cool si je pouvais tourner avec lui. Faut lui dire.»

Sur le mariage: «Quand on dit qu'on se marie pour le meilleur et pour le pire, eh bien moi, j'ai eu le pire dans mes mariages amoureux et le meilleur dans mes mariages professionnels. J'ai connu des mecs super, mais aucun n'a changé ma vie, sauf Dominique Besnehard [son ex-agent]. Dominique, c'est mon seigneur, mon maître. Je lui dois tout.»

Sur les femmes: «Quand on dit le sexe fort, c'est pour les muscles, mais pour le reste, c'est les femmes qui sont fortes. Les femmes, c'est des soldats, alors que les mecs, c'est des chochottes. Je m'entends super bien avec les femmes et, des fois, je regrette de ne pas être lesbienne.»

Sur Jésus: «Depuis que je suis enfant, je suis amoureuse de Jésus. J'avais 6 ou 7 ans et je me disais que je me foutais de mourir pourvu que je puisse voir Jésus. Un jour, dans une église, j'ai acheté une place au paradis pour 10 francs et j'ai choisi ma place entre Jésus et... Sid Vicious [des Sex Pistols].»

Sur Rupert Everett: «C'était mon prince. On ne jouait pas dans la même équipe, mais on a vécu une histoire d'amour extraordinaire ensemble. Un jour, je lui ai même ramené un ange que j'avais piqué sur la tombe d'un enfant. Il me l'a rendu au bout de quelques années en me disant qu'il avait eu trop d'embrouilles.»

Sur la Bible: «La Bible, c'est de la poésie et Jésus, c'est une extraordinaire fiction qui dure depuis des siècles sans Google et toutes ces conneries-là.»