Tu voulais qu'on parle d'austérité...

C'est quelque chose qui nous touche tous !

Et en particulier des coupes dans les CPE et les centres de désintoxication.

C'est une question de principe. On attaque pour quelques millions les plus poqués de notre société. On attaque aussi les CPE alors que les enfants sont la base de notre société.

On essaie de faire des économies de bouts de chandelle sur le dos des plus démunis...

C'est malheureusement un choix idéologique et un choix de classe sociale, pas seulement ici mais partout dans le monde. Les super-riches et les puissants de ce monde ont une conscience de classe très forte. Ils savent qui ils sont, ils se connaissent et ils s'entraident. Chose que, malheureusement, les classes moyennes et populaires ne font plus depuis les années 80. On a vraiment réussi, de façon brillante, à monter la classe moyenne contre la classe populaire. Pour faire en sorte que les gens se désolidarisent les uns des autres. On dit qu'on est dans le trou, mais on emprunte pour sauver Bombardier. C'est 1700 emplois, des gens qui ont des enfants aussi, on se comprend. Sauf qu'en contrepartie, on met en danger de 2500 à 5000 femmes, pour la majorité, qui travaillent dans des CPE. Non seulement on fragilise les enfants, mais aussi ces femmes-là qui sont dans le milieu du travail. Alors qu'on se dit une société progressiste, ouverte et moderne...

Des femmes qui, comme les profs dans les écoles, sont prêtes à faire bien des sacrifices pour le bien-être des enfants. Leurs moyens de pression se font le moins possible au détriment des enfants, et à leur corps défendant...

Ils ne le font pas de gaieté de coeur. Ce sont des gens passionnés qui subliment leurs propres besoins. C'est d'un cynisme absolu de les traiter comme ça. Je ne fais pas beaucoup d'argent, mais j'ai grandi en banlieue, je suis allé à Brébeuf. Mes parents se sont saignés aux quatre veines pour que j'aie une bonne éducation. J'ai été couvé de la réalité sociale. C'est le cas de bien des politiciens. En 2003, quand j'ai été mis face au fait qu'il fallait que j'aille en cure de désintox puis en thérapie, j'ai choisi des centres qui n'étaient pas luxueux. J'aurais pu me le payer, mais je ne voulais pas. Je voulais quelque chose de spartiate : une chambre en béton. Il y avait une part de masochisme là-dedans...

Tu voulais en baver ?

Oui. Pourtant, ç'a été trois des plus beaux mois de ma vie. J'avais l'impression de revivre. J'ai composé un album là-bas. Tout ça pour dire qu'en arrivant là, j'ai vu les poqués. J'ai vu les danseuses et les prostituées. J'ai vu des gars qui avaient dealé de la dope. Et ce qui est drôle, c'est que c'est du monde comme toi et moi. Il suffit de laver la vaisselle et faire les corvées de toilettes avec eux pendant trois mois pour se rendre compte qu'on est tous pareils. Sauf qu'eux, pour la plupart, ont vécu dans la marde. Alors quand je vois un gouvernement qui volontairement, de façon absolument cynique, prend des décisions qui effritent le tissu social en s'attaquant aux CPE ou aux centres de désintox, ça m'écoeure.

Le problème, c'est aussi que la société ne s'insurge pas tellement contre ce genre de décisions, non ? On ne réagit que lorsqu'on voit des gars pleurer parce que leur centre de désintox est fermé et qu'ils n'ont plus d'endroit où aller...

C'est drôle. On était dans la rue en 2012. Et là, il y aurait 1000 fois plus de raisons d'y être et on n'y est pas. Les libéraux savent qu'ils sont indélogeables pour l'instant, notamment parce que le PQ a pris de très mauvaises décisions depuis quelques années.

Pour ce qui est des coupes, notamment à l'aide sociale, le PQ n'a pas fait mieux...

C'est vrai. Mais l'austérité détruit la démocratie. Parce qu'elle remet le pouvoir décisionnel entre les mains de dirigeants d'institutions financières qui n'ont pas été élus. Le pouvoir de l'État baisse radicalement depuis les années 80 et l'ère Reagan-Thatcher. On sous-finance nos institutions...

Ceci est officiellement une discussion de la gogauche du Plateau Mont-Royal ! Tu ne crains pas d'être traité de pelleteux de nuages, tout sauf pragmatique, qui vit en marge de la société ?

Appliquer des mesures d'austérité dans un contexte de récession, même les économistes du Fonds monétaire international disent que ça n'a pas d'allure ! Je m'excuse, mais ce ne sont pas exactement des trotskystes ! Le gouvernement Couillard, c'est un peu l'équivalent du gouvernement Harper au fédéral...

Pour toi, c'est une version qui passe mieux d'un gouvernement conservateur qui n'a de libéral que le nom ?

Exactement ! Ils ne sont pas à cheval sur les affaires de créationnisme et d'avortement, ils n'ont pas une haine viscérale de Radio-Canada comme Harper, mais, économiquement, ça se ressemble.

On va te répondre que tu es un artiste subventionné, un gâté pourri...

Tout le monde est subventionné ! Tu ne vas pas me dire que Bombardier n'est pas subventionné ! Le problème, c'est qu'on opère un détournement du bien commun au profit d'une élite. Nos dirigeants sont des Robins des bois à l'envers : ils volent aux pauvres pour donner aux riches.

Tu espères quoi quand tu décides de prendre la parole contre l'austérité ?

J'aimerais que les gens sortent le 7 février et aillent à la manif pour les CPE. Je trouve que c'est important. Il faudrait qu'il y ait 100 000 personnes. Si on n'a pas de respect pour nos profs et nos éducateurs, pour qui on va en avoir ? Nos politiciens s'en foutent que les écoles tombent en ruine et qu'il y a des bouts d'isolant qui tombent sur la tête des enfants. Ils envoient pour la plupart leurs enfants au privé. Le pire ministre de l'Éducation de l'histoire est parti avec une prime de départ, sans scrupules. On construit une société inégalitaire. Chomsky disait : « Austerity is a fancy word for class war. » C'est vraiment ça. Ne soyons pas dupes.