Le passage de la mythique actrice Sarah Bernhardt à Québec en 1905 a inspiré à Michel Marc Bouchard une pièce historique aux thèmes très contemporains. Dans La divine illusion, à l'affiche dès mardi au TNM, l'auteur de Tom à la ferme et des Muses orphelines fait une profession de foi pour le théâtre et la création.

«L'art est la plus belle création de l'esprit humain. Sans l'art, que serait la vie?», se demande Sarah Bernhardt à la fin de La Divine Illusion, dans une tirade où la plus grande comédienne de son époque fait l'apologie du théâtre.

Créée en anglais l'été dernier au Shaw Festival, en Ontario, sous le titre de The Divine - A Play for Sarah Bernhardt, la nouvelle pièce de Michel Marc Bouchard prend l'affiche du Théâtre du Nouveau Monde cette semaine, dans une mise en scène de Serge Denoncourt. Leur cinquième collaboration ensemble. En 2012, au TNM, le metteur en scène a créé avec succès le précédent opus de Bouchard, Christine, la reine-garçon.

«Serge [Denoncourt] et moi avons établi une véritable communication dans le travail, se réjouit Bouchard, rencontré dans son condo avec vue sur le parc La Fontaine. On collabore étroitement tout au long du processus de création.»

«Outre sa franchise, ce que j'aime chez Serge [Denoncourt], c'est sa capacité de créer une véritable troupe avec ses distributions.»

La production du Shaw, signée Jackie Maxwell, a été fort bien accueillie par la presse torontoise. Le critique du National Post a même écrit que The Divine était le meilleur texte de Bouchard, et «l'une des pièces canadiennes les plus emballantes des dernières années».

La Divine comme prétexte

Malgré son titre, la pièce n'est pas une oeuvre biographique sur celle que Victor Hugo surnommait «la Divine à la voix d'or». Sarah Bernhardt est davantage une prémisse, voire un prétexte. Le véritable sujet de la pièce est l'art. Bouchard fait une profession de foi sur l'importance du théâtre dans la société.

«La Divine Illusion est une pièce plus sociale que celles que j'ai l'habitude d'écrire, reconnaît l'auteur. On est un peu chez Brecht, Dickens ou Bernard Shaw.»

Le récit est campé à Québec, en décembre 1905, et il se concentre sur l'accueil hostile du clergé qui veut empêcher la célèbre actrice de jouer. À partir de cette histoire vraie, l'auteur a imaginé deux jeunes séminaristes, incarnés par Simon Beaulé-Bulman et Mikhaïl Ahooja, et leur supérieur, Casgrain, qui est joué par Éric Bruneau. Le premier est idéaliste, fils de ministre et grand admirateur de la diva. Le second est ténébreux, fils d'ouvrier et hostile au théâtre.

La diva arrive seulement au troisième acte. Mais avec tout l'éclat qu'on lui prête. Elle est défendue par la grande Anne-Marie Cadieux, «MA Sarah Bernhardt», s'exclame Bouchard qui a connu Cadieux à l'Université d'Ottawa, à la fin des années 70: «Anne-Marie était déjà une star sur le campus. Elle jouait toujours à guichets fermés dans les pièces étudiantes.»

La curiosité, avant toute chose

Au-delà de l'effervescence autour de la visite de la Bernhardt, la pièce aborde la notion de pouvoir (religieux, politique ou économique) et son système de soumission qui dicte aux gens quoi penser. «Peu à peu, le drame historique devient une pièce sur notre époque, explique Bouchard. Sur nos contemporains qui rejettent le passé, la critique, la curiosité.»

Bouchard se lève pour fouiller dans sa bibliothèque. Il nous lit une citation de Descartes: «Il est bon d'être curieux en toute chose. Il n'y a point de remède pour s'empêcher d'admirer avec excès que d'acquérir la connaissance de plusieurs choses et de s'exercer en la considération de toutes celles qui puissent sembler rares et des plus étranges.»

De 1905, Michel Marc Bouchard fait ensuite un grand bond dans le temps, pour revenir sur le printemps érable, en 2012. «Dans ma pièce, Sarah Bernhardt évoque la jeunesse étudiante comme des éveilleurs de conscience pour changer les choses. Et ce n'est pas de moi. La comédienne a bien dit ces mots-là à des étudiants de l'Université Laval en 1905.»

Pour l'auteur des Muses orphelines, après avoir vécu un immense mouvement social en 2012, le Québec est retombé dans l'inertie.

«Après la grève, il n'y a pas eu de discussion réelle sur l'éducation. Les étudiants n'ont rien gagné. Au contraire, le gouvernement du Québec est en train de brader notre système scolaire!»

À ses yeux, le grand malheur des Québécois, c'est le rejet du passé, de l'histoire, de la culture. «On vit dans une société qui manque énormément de curiosité, dit-il. On a remplacé les idées par les sensations, la connaissance par l'innovation. Dans les discours de nos dirigeants, on fait rarement référence au passé. Comme si tout commençait à partir d'eux.»

Une enfance fabuleuse

Né en 1958 à Saint-Coeur-de-Marie, au Lac-Saint-Jean, Michel Marc Bouchard, lui, se souvient du passé. Enfant, il aimait déjà raconter des histoires et se fabriquer des amis imaginaires; ses premiers personnages. À 12 ans, il commence un roman érotique (sic!) qui finira à la poubelle. «J'étais précoce, se souvient-il. J'avais écrit une histoire de cul avec un couple qui buvait «du cabernet en faisant l'amour au rythme d'une dactylo». J'étais bien fier de cette phrase-là [rires].»

Deux ans plus tard, l'adolescent commet une première pièce dans laquelle il jouera. L'argument? Un autobus tombe en panne sur une route de campagne, et ses passagers sont forcés de coucher dans le même hôtel. Et ça finira au lit, comme chez Feydeau.

Malgré sa libido précoce, Michel Marc Bouchard affirme être un homme très pudique qui protège sa vie privée. On le sait homosexuel. Il a jadis été porte-parole de Gai Écoute et a reçu un prix contre l'homophobie. «Mais c'est grâce à mon oeuvre, pas à ma vie privée, nuance-t-il. D'ailleurs, quand je suis entré dans le dictionnaire Larousse, au printemps dernier, j'ai bien aimé qu'on souligne que mon oeuvre «a contribué à dénoncer les mensonges d'une société répressive et intolérante à l'égard de l'homosexualité.»»

«Dans ma vie, ce qui est intéressant, ce sont les pièces, les scénarios, les personnages. J'ai toujours dit que je marche à côté de moi, des événements, de la réalité. En vieillissant, c'est pire: je me décuple!»

«J'entends mon pas en joie qui marche à côté de moi», écrivait Hector Saint-Denys Garneau. Les poètes sont de drôles de types qui marchent constamment à côté d'eux. «Un écrivain travaille dans la solitude et le silence, explique Bouchard. Il entend des voix. Il est habité par le monde de son imaginaire. S'il n'a pas la chance de s'exprimer, c'est sûr qu'il va flirter avec la folie... À la blague, je dis souvent que la plus grande rencontre de schizophrènes a lieu chaque mois de novembre, au Salon du livre de Montréal!»

Ses projets

L'auteur travaille au livret de sa pièce Christine, la reine-garçon qui sera adaptée par la Canadian Opera Company, la plus prestigieuse compagnie d'opéra au Canada. Son directeur, Alexander Neef, a annoncé l'hiver dernier que l'opéra La Reine-Garçon sera créé, en français, au Four Seasons Centre à Toronto, durant la saison 2019-2020 du COC. Michel Marc Bouchard collabore avec l'excellente compositrice montréalaise d'origine serbe Ana Sokolovic, responsable de mettre en musique l'histoire tourmentée de Christine, la reine de Suède (1626-1689). Il s'agit du deuxième livret de Bouchard, qui a aussi adapté Les Feluettes pour l'Opéra de Montréal dans une musique de l'Australien Kevin March. Cette production sera présentée en mai 2016 à la Place des Arts. L'auteur a aussi signé les textes de Cité-Mémoire, une énorme installation en 44 tableaux de Michel Lemieux et Victor Pilon qui se déploiera sur les murs de Montréal pour son 375e anniversaire, en 2017.

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Au Théâtre du Nouveau Monde du 10 novembre au 5 décembre. En tournée au Québec en janvier et février 2016.