La metteure en scène Catherine Vidal (Le grand cahier) et l'auteur Étienne Lepage (Rouge gueule) font partie des forces vives du théâtre québécois. À l'invitation du Théâtre de l'Oeil, ils font équipe pour donner un nouveau souffle au conte d'Andersen, La Reine des neiges. Très différent du film de Disney, Le coeur en hiver est du théâtre de marionnettes moderne et lucide. Les deux créateurs nous ont parlé de leur pièce, qui est présentée à la Maison Théâtre à compter d'aujourd'hui.

Pourquoi prendre un conte plutôt que de créer un texte original?

Catherine Vidal: Dès qu'André Laliberté [du Théâtre de l'Oeil] a pris contact avec moi, c'est ce conte qui m'est venu en tête. Je l'aimais tellement quand j'étais petite! Alors je l'ai proposé à André, en lui disant que si Étienne Lepage en faisait l'adaptation, ce serait vraiment super.

Et Étienne a dit oui.

Étienne Lepage: J'aime bien les contraintes. Je suis un auteur qui change de style et d'univers d'un projet à l'autre. Les commandes me permettent d'écrire des choses que je n'aurais jamais écrites. L'avantage du conte, c'est qu'il y a déjà toute une histoire avec l'action, une structure déjà établie qui me permet de m'occuper de tout le reste, du style, de la forme.

Vous dites que vous avez remanié le conte d'Andersen. Comment?

E. L.: L'histoire est celle de Gerda, qui part à la recherche de son ami Kay, enfermé dans le château de la Reine des neiges. J'ai gardé la trame, mais pas le propos. Andersen avait créé une opposition entre l'intelligence, qui représente le mal, et l'émotion et la foi, qui représentent le bien. Je n'aimais pas cette dichotomie: associer l'intelligence à la méchanceté n'est pas juste. L'intelligence est émotionnelle. On peut choisir le déni du monde ou, comme Gerda, se servir de son intelligence et de sa sensibilité pour dire: j'accepte que la vie soit dure, mais il y a du beau là-dedans.

Vous avez joué avec les codes du conte et de la marionnette?

E. L.: Dans le conte, le narrateur est omniscient, alors que moi, j'ai fait un narrateur impliqué dans l'histoire, qui a une personnalité et qui se permet même de donner son avis. Et j'ai écrit beaucoup plus de dialogues.

C. V.: De mon côté, j'ai pris la décision de partager la narration entre les personnages, et j'ai créé une scénographie où on voit les marionnettistes. On a aussi poussé le concept des personnages-lieux, qui transportent leur monde avec eux.

Quel est le grand défi avec la marionnette?

C. V.: On ne dirige pas juste un acteur, on dirige un comédien qui doit donner vie à cet objet. Il faut donc trouver, par exemple, comment une marionnette ferait pour s'asseoir sans imiter l'humain. Si ça marche, on a trouvé sa vérité. Mais juste trouver ça, c'est quelque chose.

Quand on pense à La Reine des neiges, on pense nécessairement au film de Disney.

C. V.: Je le sais. Mais on avait commencé le projet avant que le film sorte! Je ne l'ai pas vu, mais il semble qu'ils ont vraiment décollé de l'histoire originale. Nous, on est plus proches du conte, même si la morale et la chute ne sont pas pareilles.

E. L.: C'est curieux, car je n'ai pas gardé un seul mot, j'ai tout réécrit. Mais j'ai gardé les péripéties, et les gens qui connaissent le conte vont le reconnaître.

Mais votre pièce ne fait pas Disney non plus.

E. L.: Vraiment pas! Surtout la finale, qu'on ne peut pas révéler.

C. V.: C'est peut-être anti-Disney, mais ce n'est pas noir.

E. L.: Il y a quelque chose un peu sur la cruauté et la difficulté de la vie. Mais la pièce est super ludique, on s'amuse pendant toute la durée, on rit, ce n'est pas lourd.

Quand on travaille pour les enfants, on a un message en tête?

C. V.: Je crois qu'on a un devoir d'honnêteté. Mais, comme André Laliberté, je pense aussi qu'on a le devoir de ne pas finir sur une note pessimiste.

E. L.: Il faut faire attention avec l'espoir.

C. V.: Donner de la lumière, mais sans faire de l'esbroufe ou camoufler les vraies affaires. C'est pour ça que j'ai aimé la proposition d'Étienne.

E. L.: Par contre, j'ai l'impression qu'il n'y a pas de limite dans le propos. Ma seule question est: est-ce que ça va leur tenter? Est-ce que ça va les intéresser? Après ça, on peut parler de tout, et c'est tant mieux. Ils sont à un âge où ils peuvent discuter, réfléchir, rebondir. Les enfants sont bons avec les enjeux complexes, meilleurs que les adultes.

Quel est votre objectif en faisant du théâtre jeunesse?

C. V.: La lecture de ce conte provoquait une émotion en moi quand je le lisais, et je suis sûre que, si je fais du théâtre, c'est à cause de ça. Pour proposer des expériences aux gens. C'est la même chose avec le jeune public: j'ai envie qu'il vive quelque chose, que ce ne soit pas juste comme un écran de télé toujours ouvert. Que quelque chose se passe.

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À la Maison Théâtre du 5 au 22 novembre. Pour les 6 à 10 ans.