Après Descartes et Montaigne, le Loup bleu s'attaque à un autre grand auteur, Tolstoï. La marionnette et son alter ego Antoine Laprise ont fait équipe avec le dramaturge Louis-Dominique Lavigne pour créer une version de Guerre et paix qui risque de surprendre.

Quand Louis-Dominique Lavigne (Théâtre de Quartier) a dit à Antoine Laprise (Théâtre du Sous-marin jaune) qu'il venait de lire le plus grand livre de sa vie, Guerre et paix, ce dernier a répondu: «On l'adapte.»

Deux jours après, la coproduction était en branle. Travailler à quatre mains, c'est utile, surtout quand on a affaire à des marionnettes. Encore plus pour décortiquer un roman épique de 2000 pages, considéré comme l'un des plus importants dans la littérature mondiale.

«Une partie du roman est une réflexion philosophique, avec ses forces et ses faiblesses, affirme Louis-Dominique Lavigne. On a essayé d'évoquer ça à travers cette histoire d'amour et cette grande fresque historique. Cette guerre nous en apprend beaucoup sur les gagnants qui perdent et les perdants qui gagnent. C'est une réflexion sur les héros et la bravoure.»

«Il y a une modernité chez Tolstoï qui est insoupçonnée, ajoute Antoine Laprise. On attribue le monologue intérieur à Joyce, mais c'est Tolstoï dans Anna Karénine qui l'a inventé. Quand on lit le livre, on se demande si c'est un essai, un poème, un roman. C'est tout à la fois. Faire une simple reconstitution historique ne rend pas justice au roman.»

On ne risque pas d'y être confronté avec le Théâtre du Sous-marin jaune et sa vedette, le Loup bleu, la marionnette-narratrice. Quatre acteurs occupent la scène avec une vingtaine de marionnettes, dont l'une qui représente Tolstoï lui-même.

«Antoine avait une esthétique qui me plaisait beaucoup pour aborder une oeuvre avec son mélange de comédiens et de marionnettes et une scénographie de carton-pâte. Pour moi, ça convient bien à ce roman épique avec des champs de bataille et des personnages plus grands que nature», explique Louis-Dominique Lavigne.

Drôle et tragique

La troupe a déjà une quarantaine de représentations derrière la marionnette. Les quatre acteurs et leur vingtaine de personnages nous arrivent du célèbre Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, en France. La critique française a qualifié la pièce de «férocement drôle» et de «délicieusement irrévérencieuse».

«C'est un drame, dit Antoine Laprise. Notre adaptation est peut-être un peu plus légère que le roman, mais c'est un drame qu'on joue sérieusement. Le cheval et le Loup bleu forment un duo comique à un moment, à la manière de Laurel et Hardy. Mais après, quand le cheval se retrouve seul, ce n'est plus drôle. Les gens rient, mais ils ne le font pas parce que c'est drôle.»

Le dramaturge abonde dans le même sens: «Il faut le prendre au sérieux. Ce roman n'est pas une blague. Ç'aurait pu l'être, mais on aurait raté le sujet. Les grands thèmes restent l'amour, la vie, la mort, la lutte des classes.»

On est donc loin du film Guerre et amour de Woody Allen qui ressassait plutôt les clichés habituels sur les tourments de l'âme russe. Louis-Dominique Lavigne soutient cependant qu'il est clair que le cinéaste a lu Tolstoï.

«Lénine était aussi un grand lecteur de Tolstoï. Mais je crois qu'il aurait dû mieux le lire. Il n'aurait pas raté sa révolution parce que Tolstoï ne méprisait pas le spirituel ni la vie humaine. C'était un grand pacifiste qui a d'ailleurs influencé Gandhi.»

Duo fécond

Les deux hommes de théâtre parlent pratiquement d'une même voix en entrevue. On sent qu'ils ont pris plaisir à travailler ensemble sur ce texte majeur. Ils en parlent comme d'une rencontre féconde sur l'oeuvre, mais aussi sur la vie en général.

Louis-Dominique Lavigne qualifie son complice, à la fois metteur en scène, marionnettiste et acteur, de «ludique inspirant». «C'est comme si je travaillais avec un poète. Je suis en bonne compagnie. Son Loup bleu, c'est le poète en lui qui parle. C'est très beau.»

«À partir du résumé qu'a fait Louis-Dominique, on a pu trouver la courbe élégante du récit, ajoute Antoine Laprise. On connaît très mal la Russie. Quelqu'un qui fait une relecture en sortant du spectacle pourra comprendre pourquoi il y a eu une révolution en 1917. Pourquoi pas avant? Qui sont les responsables? Je crois que les lecteurs de Guerre et paix, en assistant au spectacle, auront quand même l'impression que tout y est.»

_______________________________________________________________________

Au Théâtre d'Aujourd'hui du 3 au 21 novembre.