«Mon âme est noire/Où vis-je, où vais-je?/Tous mes espoirs gisent gelés/Je suis la nouvelle Norvège/D'où les blonds ciels s'en sont allés...» Ces mots du poème Soir d'hiver, d'Émile Nelligan, résumeraient bien l'esprit de la pièce de Catherine Léger, qui nous plonge dans un monde postapocalyptique dépourvu d'espoir et d'humanité.

Voiture américaine est une pièce chorale syncopée où les destins de huit personnages finissent par se croiser. Inutile de vous dire que durant le premier quart de la pièce, les dialogues sont parfois difficiles à suivre. Mais petit à petit, les zones d'ombre s'éclaircissent, dévoilant des hommes et des femmes en mode survie. Façon Delicatessen, c'est-à-dire avec un certain humour noir.

Dans ce monde dématérialisé règne la peur. Un monde où l'on n'ose plus sortir dehors. Où l'on peut se faire tuer à tout moment. Où les gens se distinguent par leur cruauté et leur cupidité. Où les rapports homme-femme sont réduits à leur état primitif «boeuf-vache». Où l'idée même d'avoir des projets ou des enfants relève du délire. Bref, un monde où la frontière entre le bien et le mal disparaît progressivement...

Voilà le sombre portrait de Catherine Léger, qui va jusqu'à remettre en question l'utilité de la femme d'aujourd'hui! L'auteure pousse l'audace jusqu'à imaginer une scène où un homme échange sa femme contre une voiture. À la fois drôle et absurde.

Dans une autre scène, le personnage de Richard pète les plombs lorsque sa soeur l'interpelle par son prénom ! Moment d'anthologie pour Simon Rousseau.

Un défi de mise en scène 

La mise en scène de cet enchevêtrement de dialogues dans un espace à peu près vide n'est pas une mince affaire. Dans le contexte, Philippe Lambert s'en tire relativement bien, créant des espaces de jeu assez bien définis grâce aux éclairages d'André Rioux. Les morceaux interprétés par Anne-Marie Levasseur au piano permettent également de mettre en scène ce récit biscornu.

Le personnage d'Anne-Marie Levasseur (c'est elle qui se fait échanger contre une voiture) est d'une méchanceté sans nom. Le seul personnage encore plus malveillant qu'elle est défendu par Sébastien Dodge. Encore une fois, l'acteur compose un rôle de déséquilibré dangereux, à la fois misanthrope et dominateur, qui vaut à lui seul le déplacement. En fait, tous les comédiens de la Banquette arrière jouent bien leur partition.

Il reste ce texte brillant par moments, malgré ses excès, qui nous renvoie à un monde barbare qui existe, malheureusement. Sitôt après avoir ri de l'absurdité de certaines situations, on pense invariablement à ceux qui vivent vraiment ce vide et cette peur quotidienne (pensez à la Syrie, par exemple). Tout d'un coup, face à ce monde déshumanisé, on n'a plus vraiment envie de rire.

Voiture américaine, De Catherine Léger. Mise en scène de Philippe Lambert. ***1/2

À La Licorne jusqu'au 17 octobre.