Roman d'aventures et fable écolo, l'adaptation théâtrale de Moby Dick, qui ouvre la saison au Théâtre du Nouveau Monde (TNM), réunit deux artistes qui voient grand, Dominic Champagne et Bryan Perro. Pourtant, les deux collaborateurs parlent d'une production artisanale, une plongée intime dans le coeur des hommes en lutte contre la nature.

Dominic Champagne cherche constamment des signes. Le metteur en scène en a trouvé suffisamment dans Moby Dick pour accepter l'invitation de Bryan Perro à mettre en scène cette histoire plus grande que nature au TNM.

L'artiste et militant écolo voit en Herman Melville un critique de la révolution industrielle et de la surexploitation des ressources, tant humaines que naturelles.

«Melville porte un regard critique sur le début de la conquête du monde par les Américains. C'est l'aventure de la chasse à la baleine qui va les mener partout puisque les baleines sont partout. Donc, Melville voit que c'est le début de cette grande aventure de l'exploitation des ressources et des peuples au service du profit.»

Bien qu'il se défende d'avoir créé une pièce militante à partir de l'adaptation de Bryan Perro - à laquelle il a aussi contribué -, Dominic Champagne avoue que le roman apporte un écho à son propre combat contre l'exploitation du gaz de schiste.

«C'est l'histoire d'un équipage qui s'en va mettre des baleines en barils d'huile. Cette entreprise mène cette humanité à son naufrage. L'huile de baleine participe de la révolution industrielle puisqu'elle sert à éclairer les rues et à lubrifier les usines.»

«Il y a quelque chose dans la métaphore du roman qui est prophétique par rapport au monde dans lequel on vit. Au Québec, nos baleines blanches sont menacées par les chercheurs d'huile», souligne Dominic Champagne

Capitaine Achab

Entre un équipage courageux et la baleine blanche, sous l'oeil de Dieu, un homme - héros shakespearien - s'attaque à l'impossible: le capitaine Achab, interprété avec brio, dit-on à bâbord et à tribord, par Normand D'Amour.

«Achab devient l'incarnation de l'homme qui prétend dompter la nature, dit le metteur en scène. Moby Dick, c'est la baleine; c'est l'animal sur Terre qui est le plus grand. C'est le dragon pas mythique mais réel. Aller se mesurer au géant et prétendre qu'on va pouvoir le dominer, c'est un fondement de la mythologie américaine.»

Mais Achab n'est ni blanc ni noir. C'est un homme déchiré, solitaire.

«Il y a une beauté tragique chez Achab. On est tous un peu Achab. Si on porte un regard écologiste sur cette fable, on peut dire qu'on veut aller à la rencontre de la nature, mais cette nature est beaucoup plus brutale que ce que l'homme peut lui faire.»

Spectacle artisanal

Avec un tel sujet, la tentation du grand déploiement devait être grande, mais Dominic Champagne la réfute. Il préfère parler de «théâtre physique» plutôt que de cirque, malgré l'embarquement d'artistes circassiens.

«Ce n'est pas vrai que c'est un spectacle à grand déploiement. On va proposer un voyage aux spectateurs. Notre équipage, ce sont nos acteurs, et nos moyens sont ceux du théâtre. Les acteurs sont mis à nu dans tout ça. Je ne dis pas que ce ne sera pas beau, mais j'ai envie que la fraternité, toute seule dans un navire, soit mise en valeur.»

Le metteur en scène en profite pour revenir sur le reportage publié dans L'actualité au sujet du spectacle, intitulé Tempêtes en coulisses.

«La journaliste a passé trois semaines avec nous et a beaucoup parlé de nos problèmes de production. Je ne dis pas que c'est insignifiant, mais chaque production a ses défis. C'est un show qui coûte cher, mais moins que L'Odyssée il y a quelques années.»

Le militant s'emporte un peu devant la mention d'une goutte d'eau qui aurait coûté 400$ à la production.

«Ça vient reconduire un discours de droite qui nous écoeure depuis des années. Moi, je me dépense, je me défonce. Personne n'exploite personne ici. On fait une oeuvre honnête, somme toute modeste; on est des citoyens responsables et on a quelque chose à dire. Eh oui, une goutte d'eau, ça peut valoir 400 piastres.»

Message

Dominic Champagne insiste: Melville, sa baleine et la pièce qu'il met en scène ont des messages de grande importance à nous livrer.

«Je trouve que Moby Dick et le spectacle qu'on fait, c'est l'expression de notre condition tragique, de la tragédie dans laquelle on se trouve présentement, de ce rapport difficile entre la nature et nous-mêmes», dit-il.

Pour vérifier si sa lecture de Melville était la bonne, le metteur en scène a consulté l'an dernier le spécialiste québécois de l'écrivain américain, Victor-Lévy Beaulieu.

«Il m'a fait ses remarques. Le lendemain, je suis allé faire des images au large de Cacouna. On s'est retrouvés au coeur d'un ballet de 15 bélugas. J'ai mis ma main sur le front de l'un d'eux. C'était dans le pic de la contestation contre le gaz de schiste. J'ai eu un contact oculaire avec un béluga venu me dire: «On est là.» Je n'avais pas de doute sur le bien-fondé de mon travail, mais c'est comme si la baleine blanche venait me dire qu'on était ensemble.»

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Au Théâtre du Nouveau Monde, du 22 septembre au 17 octobre.