En ce moment, Éric Bruneau y goûte. Pas aux vacances ni à la langueur de l'été. Il y goûte au sens où il travaille comme un forcené.

Levé à 5h, l'acteur de 32 ans se précipite sur le plateau de Blue Moon, la nouvelle série de Fabienne Larouche, campée dans une agence paramilitaire privée. Il y incarne un agent de sécurité aux côtés de Luc Picard et de Karine Vanasse.

Le rythme de tournage de cette série ambitieuse, réalisée par Yves Christian Fournier, est haletant. L'acteur y tourne entre 20 et 28 scènes par jour, ce qui est en soi un exploit.

Puis, à la fin de sa journée, qu'il soit vidé ou non, il saute dans sa bagnole. Direction la salle de répétition du TNM où, sous la direction de Serge Denoncourt et d'un maître d'armes, il s'entraîne avec ses camarades mousquetaires à des combats d'escrime.

Dans le rôle du mousquetaire Athos, le noble au coeur brisé par la vile Milady, il répète jusqu'à minuit. Ce régime dure depuis près de deux mois, et d'ici la première des Trois mousquetaires à la mi-juillet, son rythme ne risque pas de ralentir ni de s'alléger. Plutôt le contraire. Mais le principal intéressé ne s'en plaint pas une minute.

«À ce moment de ma vie, c'est le temps d'y goûter, dit-il. J'ai la chance d'avoir beaucoup de temps de glace pour me développer et évoluer et ça, c'est précieux. Comme le dit si bien mon ami Émile Proulx-Cloutier, ça fait 10 ans que tu commandes des matériaux, il est temps de commencer à construire.»

Par matériaux, Éric Bruneau entend toutes les précieuses leçons sur le métier d'acteur apprises sur les bancs de l'école, mais aussi sur les plateaux et les planches, où les rôles n'ont cessé de pleuvoir comme une pluie bienfaisante sur lui et son CV.

À 32 ans, 10 ans après sa promotion de l'École nationale, Éric Bruneau, que le grand public a découvert dans la série Toute la vérité, voit ses années d'apprentissage porter leurs fruits et lui donner la certitude d'avoir fait les bons choix.

«Il n'y a personne qui travaille plus fort que moi», dit-il, attablé devant un tartare de boeuf et une eau minérale au Café du Nouveau Monde. «À mes yeux, de toute façon, la qualité première d'un acteur, c'est d'être travaillant. On me parle souvent de mon physique, mais le fait est que tu ne peux pas bâtir une carrière sur ta gueule et ton physique. Peut-être au début, mais ça dure deux ans et après, c'est au suivant. Si tu veux durer, faut que tu travailles.»

Un être charmant

Arranger un rendez-vous avec Éric Bruneau et trouver une plage libre dans son horaire surchargé a été un casse-tête. Le rencontrer fut un charme. Mais je m'y attendais. Je me souviens de notre premier échange sur le plateau du film Gerry, où il incarnait Pierre Harel.

Il débutait dans le métier, n'était pas connu, mais il savait déjà y faire, en étant charmant, avenant, très à l'aise avec tout le monde. Je me souviens m'être dit que ce gars-là irait loin parce qu'il avait compris d'instinct le système, ce qui lui donnait une longueur d'avance sur la plupart des jeunes comédiens faisant leurs premiers pas dans le métier. Restait une question: est-ce que c'était chez lui un penchant naturel ou calculé?

Je lui ai posé la question sans détour cette semaine. Éric Bruneau s'est empressé de rejeter l'idée d'un quelconque calcul. «Ce n'est pas une question d'être charmant pour charmer, a-t-il répliqué. C'est un désir d'être agréable avec le monde, parce que je n'ai pas envie de me faire chier et que j'aime le monde. Si je n'étais pas devenu acteur, j'aurais étudié la psycho. J'ai une capacité à lire l'humain et à m'adapter aux circonstances et aux autres. Ce n'est pas par calcul ni par opportunisme, je suis fait de même.»

Il y a quelque chose de sain et de carré qui se dégage de cet acteur de talent, qui est parvenu à faire sa marque autant à la télé qu'au théâtre et au cinéma, ce qui n'est pas donné à tous. Non seulement a-t-il une grande habileté à passer, sans effort, d'un monde à l'autre. Tout semble lui venir facilement, et cela, depuis ses débuts.

Ainsi Éric Bruneau n'en était qu'à sa deuxième année à l'École nationale quand le cinéaste André Forcier lui a offert un premier rôle dans Les États-Unis d'Albert.

Se faire offrir un premier rôle par Forcier, c'est déjà un miracle. Mais en plus, techniquement, Bruneau n'avait pas le droit de l'accepter. En principe, les étudiants en interprétation doivent attendre l'obtention de leur diplôme avant de pouvoir pratiquer leur métier. Mais l'ENT a fait une exception pour Bruneau.

«D'abord, je leur ai dit que s'il fallait que je choisisse entre le film et l'École, j'étais prêt à laisser tomber le film pour pouvoir rester à l'École. Et puis, je leur ai promis de suivre des cours de voix et de chant à mes frais pendant tout l'été.»

Il va sans dire qu'il n'a eu aucune difficulté à convaincre les autorités de l'École. Celles-ci avaient sans doute déjà saisi le grand potentiel d'une des futures coqueluches des tapis rouges québécois. N'empêche.

Quand Éric affirme qu'il a toujours été travaillant, il ne ment pas.

«J'ai toujours eu beaucoup d'énergie. Adolescent, j'étais le genre à me lever à 4h du matin et à attendre dans la cuisine que le jour se lève et que la journée commence.»

Une vocation

Originaire de Saint-Jean-sur-Richelieu, Éric Bruneau est le cadet des deux fils de l'homme d'affaires André Bruneau et de Madeleine Sainte-Marie, aujourd'hui directrice de la Chambre de commerce de la Rive-Sud.

À 13 ans, il convainc ses parents de lui payer des cours de théâtre à Montréal chez Micheline Beauregard. Deux ans plus tard, il assiste à une représentation de Bousille et les Justes avec Benoît Brière au Rideau Vert. «Je ne m'en suis pas remis dans la mesure où c'est là que j'ai décidé que c'était ça que je voulais faire dans la vie.»

Au collège privé des frères Maris, Éric Bruneau avait déjà commencé à faire de l'impro. Il a poursuivi sa formation en théâtre au cégep de Saint-Hyacinthe tout en suivant des cours de diction au collège LaSalle. Finalement, en 2002, il a été admis à 19 ans à l'École nationale de théâtre où sa soif d'apprendre est allée en augmentant.

Son père, qui n'était pas un grand amateur de théâtre, se plaignait à l'occasion que les acteurs au théâtre parlent trop fort. La remarque s'est gravée à jamais dans l'esprit de son fils, le poussant non pas à baisser le son de sa voix, mais à tout donner sur scène.

«Le défi sur scène, ce n'est pas de parler fort, mais de toucher les gens et surtout de leur dire quelque chose, sinon parler fort pour parler fort, ça ne vaut pas le coup.»

Malheureusement, André Bruneau ne pourra pas voir son fils se glisser dans la peau d'Athos aux côtés de ses amis mousquetaires cet été. Il est mort à l'âge de 60 ans d'une leucémie, il y a quelques années.

Le soir de sa mort, Éric jouait dans Christine, la reine-garçon au TNM. Il venait à peine de sortir de scène lorsqu'il a appris la nouvelle. Et le lendemain, ironie du sort, il tournait dans Toute la vérité une scène où son personnage retrouvait son père. Il dit que ce fut un des moments les plus douloureux de sa carrière et il semble y avoir survécu en travaillant doublement. Depuis, le soleil est revenu dans sa vie.

Depuis, peu importe s'il pleut ou s'il fait beau dehors, quand Éric Bruneau est sur scène ou sur un plateau, le soleil brille immanquablement pour lui.

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Les Trois Mousquetaires, au TNM, du 16 juillet au 16 août.

Éric Bruneau en six rôles

1 Albert dans Les États-Unis d'Albert d'André Forcier. Éric Bruneau était en deuxième année à l'École nationale de théâtre quand Forcier lui a offert ce premier rôle. En principe, les élèves en interprétation n'ont pas le droit de pratiquer leur métier pendant leur formation de quatre ans. La direction a fait une exception pour lui.

2 Sylvain Régimbald, le charmeur en série et impénitent coureur de jupons de Toute la vérité. Le rôle l'a fait connaître auprès du grand public et lui a valu cinq prix Artis.

3 Francis dans la pièce Tom à la ferme de Michel Marc Bouchard. Éric Bruneau y incarnait avec brio le frère violent et homophobe du défunt de la pièce. Un conflit d'horaire l'a empêché d'incarner le rôle au cinéma aux côtés de Xavier Dolan.

4 Luc, l'architecte, skieur, golfeur, joueur de tennis et mari infidèle du Règne de la beauté de Denys Arcand.

5 Le comte Johan Oxenstierna dans Christine, la reine-garçon, un rôle qui lui a valu le prix d'interprétation Olivier-Reichenbach décerné par le public du TNM.

6 Athos, prochainement dans Les trois mousquetaires. De cette pièce, qui prendra l'affiche au TNM, l'acteur dit qu'elle est haletante, jouissive et montée comme un «blockbuster» à l'américaine.

PHOTO VÉRO B., FOURNIE PAR TVA

Éric Bruneau dans Toute la vérité à TVA.