«Le premier monstre, c'est le roi», affirmait le philosophe Michel Foucault dans sa célèbre Histoire de la folie à l'âge classique. Alors, imaginez quelle matière monstrueuse vous détenez avec cinq rois; cinq monarques du même sang qui se succèdent, se déchirent, s'aiment, se détestent et se trahissent...

Voilà l'entreprise titanesque du cycle des rois de Shakespeare, formé de cinq grandes pièces historiques (de Richard II à Richard III, en passant par Henri IV, Henri V et Henri VI). Et voici la base de Five Kings/L'histoire de notre chute, spectacle-fleuve de plus de cinq heures (avec entractes) produit par trois compagnies (le PàP, Trois Tristes Tigres et le Théâtre des Fonds de Tiroirs) et présenté l'automne prochain à Montréal et à Ottawa. 

Une création qui réunira 13 acteurs incarnant 37 personnages, une dizaine de concepteurs et deux coproducteurs (Théâtre français du CNA et Théâtre de Poche à Bruxelles). Tous y travaillent depuis environ cinq ans, au Québec et en Europe.

Shakespeare, notre contemporain

Le projet remonte à la découverte par Patrice Dubois et Martin Labrecque du texte de Five Kings, un collage des pièces réalisé par le grand metteur en scène Orson Welles en 1939. Ils en ont confié la réécriture à Olivier Kemeid et la mise en scène à Frédéric Dubois.

Au bout de quatre années de lectures, d'ateliers et de répétitions, l'oeuvre shakespearienne a été adaptée à notre époque (de 1965 à 2015). Ses rois ont pris les traits de figures contemporaines du pouvoir. «Chaque jour, l'actualité ancre le projet dans sa contemporanéité la plus radicale», note Olivier Kemeid en entrevue à La Presse.

L'auteur Olivier Kemeid a une belle formule pour résumer son travail: «Je me suis promené dans la forêt shakespearienne.»

Pour l'éclaircir, il a suivi deux fils conducteurs. Comment accède-t-on au pouvoir? Et comment fait-on pour le conserver? «Tout est orchestré pour avoir la couronne. Puis on fait tout pour ne pas la perdre, dit-il. Les rois n'ont jamais l'esprit libre.»

L'autre aspect qui a fasciné Kemeid, c'est l'histoire des familles et des dynasties autour du pouvoir, les jeux d'alliances, les trahisons, etc.

«Encore là, rien ne change. Des Kennedy aux Bush, des Clinton aux Péladeau, l'histoire récente est pleine d'exemples de familles qui se font et se défont pour mieux régner.»

Les différents visages du pouvoir

«Ce qui est fascinant, également, c'est de constater à quel point ces cinq rois sont différents! Ils brossent presque toutes les facettes de la gouvernance», estime Kemeid. Comme quoi la quête du pouvoir est une question de stratégie, plus que de personnalité.

On répète souvent que l'oeuvre de Shakespeare est plus grande que nature, qu'elle n'aurait d'équivalent dans aucune autre dramaturgie nationale. «La force du théâtre de Shakespeare est incroyable, s'exclame Kemeid. L'auteur de Hamlet dépeint des actions qui sont possibles à la fois dans la chambre à coucher et à l'Assemblée nationale!»

Finalement, la violence de ses pièces a bien sûr des résonances à notre époque marquée par la terreur. «Il y a actuellement une recrudescence du théâtre shakespearien. Et pas seulement en Europe et en Amérique du Nord. En Afrique aussi. Shakespeare nous aide à mieux comprendre les mécanismes de l'Histoire et du pouvoir.»

Et ça, bien entendu, c'est universel.

LA DISTRIBUTION

Olivier Coyette (Belgique), Jean-Marc Dalpé, Patrice Dubois, Hugues Frenette, Jonathan Gagnon, Gauthier Jansen (Belgique), Park Krausen (États-Unis), Louise Laprade, Marie-Laurence Moreau, Étienne Pilon, Isabelle Roy, Vlace Samar, Emmanuel Schwartz

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Au Théâtre Espace Go du 20 octobre au 8 novembre. Billets en vente dès aujourd'hui.