La dernière fois que nous avons assisté à une prise de parole féminine aussi forte au théâtre, c'était dans l'adaptation de l'oeuvre de Nelly Arcan (La fureur de ce que je pense), brillamment transposée à la scène il y a deux ans par Sophie Cadieux et Marie Brassard. Un spectacle extrêmement bouleversant.

J'accuse n'a pourtant rien à voir avec l'univers tourmenté et l'obsession de la beauté qui a détruit Nelly Arcan. Pas plus d'ailleurs qu'à la célèbre lettre ouverte d'Émile Zola, qui avait pris la défense de l'officier juif Alfred Dreyfus (accusé à tort de trahison), dans un texte éloquent publié en 1898 sous le titre «J'accuse...!»

La dramaturge Annick Lefebvre nous propose plus humblement cinq portraits de femmes qui font le récit de leurs «combats» au quotidien. Qu'elle soit vendeuse dans une boutique, entrepreneure pour une PME, immigrante, groupie d'Isabelle Boulay ou simplement en peine d'amitié, chacune se confie à nous sans censure.

La construction dramatique de ces cinq monologues est astucieuse, chacune des interprètes répondant aux accusations formulées par celle qui vient de prendre de la parole. Par exemple, la vendeuse qui dénonce le snobisme et l'hypocrisie de ses clientes est suivie de la chef d'entreprise susceptible d'être cette cliente...

Remarquables interprètes

Ces différents points de vue sont extrêmement intéressants. D'autant plus qu'ils sont défendus par cinq interprètes de talent: Ève Landry, Catherine Trudeau, Alice Pascual, Debbie Lynch-White et Léane Labrèche-Dor.

Chacune des actrices parvient à créer un rapport d'intimité avec le spectateur. Elles sont drôles, émouvantes et parfois extrêmes.

Car ces confidences provoquent aussi des malaises. En particulier le personnage de Catherine Trudeau, avec ses opinions bien à droite, où elle exprime sans détour son admiration pour l'ex-animateur Jeff Fillion en même temps qu'elle s'en prend à la fondation du DJulien. Sans parler de son discours xénophobe...

Alice Pascual, dans le rôle de l'immigrante, lui donne la réplique. Malgré tous ses efforts, elle ne parvient pas à se faire accepter. La jeune femme avoue ne pas avoir regardé Passe-Partout, mais elle cite nos plus illustres écrivains et cinéastes pour se rendre compte que la majorité des gens qu'elle croise s'en fichent complètement.

Mais c'est Debbie Lynch-White qui nous offre le moment fort de la soirée. La comédienne, connue pour son rôle de gardienne dans Unité 9, s'en prend directement à l'auteure, Annick Lefebvre, lui reprochant d'avoir créé son personnage de groupie d'Isabelle Boulay. «T'es qui pour me juger?», lui lance-t-elle avant de l'inviter sur scène.

La mise en scène minimaliste de Sylvain Bélanger sert bien le texte de l'auteure, même si les cinq monologues qui se suivent de façon linéaire sont livrés dans l'immobilité. Un choix qui se défend, mais qui n'est pas sans effort pour le spectateur. Heureusement que le jeu des cinq comédiennes est à la hauteur.

Les très nombreuses références à la culture d'ici (télé, théâtre, musique, cinéma, etc.) limitent parfois la portée de ses propos, mais l'auteure de Samedi, il pleuvait livre un texte avec du mordant, qui exprime tout haut ce que personne n'ose dire sur la place publique.

Au fond, «l'entreprise de démolissage de tout» menée intelligemment par Annick Lefebvre illustre bien les différentes quêtes qui s'affrontent aujourd'hui. Qu'elles soient féminines ou non.

Au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 9 mai.