À quelques jours de la première de Judy Garland, la fin d'une étoile, la comédienne Linda Sorgini et le metteur en scène Michel Poirier ont reçu la presse à la Place des Arts pour présenter des extraits musicaux de la pièce consacrée à la légendaire chanteuse et actrice. Parcours d'une enfant vedette qui a illuminé bien des vies, sauf la sienne.

Sa vie fut tragique et passionnée, fulgurante et désespérée. Enfant vedette mise sous contrat à 12 ans par le studio MGM, Judy Garland a été une immense vedette en Europe et en Amérique dans les années 40 et 50. Sa chanson Over the Rainbow, qu'elle a chantée tout au long de sa carrière, est devenue un hymne à l'espoir et aux rêves des gens.

«Hollywood est un bien étrange endroit, lorsqu'on passe un mauvais moment. Tout le monde pense que c'est contagieux», aimait à dire Garland. L'actrice lui préférait Londres et New York, là où les stars peuvent se cacher pour mourir. Elle s'éteindra d'ailleurs dans la capitale britannique, le 22 juin 1969, à l'âge de 47 ans. On la trouvera morte sur le plancher de la salle de bains, ayant succombé à une surdose de barbituriques.

Dans End of the Rainbow, créée à Sydney en 2005 puis reprise à Londres et Broadway en 2012, avec Tracie Bennett dans le rôle de Judy, Peter Quilter dévoile l'intimité de Garland, six mois avant sa mort. La pièce prend l'affiche du Théâtre Jean-Duceppe mercredi.

On retrouve Garland avec deux de ses proches, en janvier 1969, dans une suite du Ritz à Londres. «Judy commence la pièce en pleine forme, explique Linda Sorgini. Elle vient d'arrêter de boire. Elle a un jeune boy toy, Mike, qu'elle va épouser. Et elle prépare l'ultime de ses nombreux come-back, avec un concert au club The Talk of the Town. Hélas! elle va rechuter et tout va s'écrouler.»

Enfant vedette maltraitée

Pour Sorgini, il est clair que Garland était une femme maniacodépressive non diagnostiquée. Si son énergie en phase maniaque lui a permis de toucher des dizaines de millions d'admirateurs, la maladie lui a aussi fait faire quatre tentatives de suicide...

«Je pense qu'il y a quelque chose de profondément anormal avec ce type de carrière précoce, estime pour sa part Michel Poirier. Dès l'âge de 2 ans, elle a toujours été en représentation. Puis sa mère l'a carrément vendue à la MGM, qui a pressé le citron. Entre les performances sur scène et les nombreux tournages, la jeune fille devait vivre avec une attention médiatique démesurée.

«Pour moi, Judy est une enfant victime de mauvais traitements dont le destin s'apparente à celui de Michael Jackson», ajoute-t-il.

Si Michel Poirier n'était pas un grand fan de la chanteuse, il s'est intéressé à son destin avant que la compagnie Jean-Duceppe ne lui propose de monter la pièce de Peter Quilter.

«J'ai énormément de compassion pour ces artistes qui tombent dans le showbiz au début de l'enfance sans avoir demandé quoi que ce soit, dit-il. Ils n'ont pas eu le loisir de choisir autre chose dans la vie. Ils n'ont pratiquement pas eu de scolarité non plus. Alors, ils sont démunis en dehors de leur carrière. Dans sa vie amoureuse autant que dans son quotidien, Judy Garland était complètement dysfonctionnelle.»

Qui est Judy?

Dans une entrevue menée par Barbara Walters en 1968, Garland est d'ailleurs prise au dépourvu lorsque l'intervieweuse lui demande quelle autre carrière elle aurait aimé faire. À l'évidence, l'artiste ne s'est jamais posé la question. «Elle n'en a pas eu le temps, rétorque Linda Sorgini. Qui est la vraie Judy? Elle l'ignorait elle-même.

«Un jour, Judy a interpellé son fils tandis qu'il regardait une partie de hockey à la télévision. Elle lui a dit: ''Joey, tu vois la rondelle sur la glace? C'est moi!"»

Près de 50 ans après sa mort, la carrière et le destin de Judy Garland demeurent exemplaires aux yeux des artisans de la production de Duceppe. Pour incarner ce rôle immense, Poirier ne voyait personne d'autre que Sorgini. «J'ai choisi Linda parce que je la connaissais. C'est une machine de travail. Une Ferrari!»

Linda Sorgini est aussi dans son élément quand elle se frotte aux codes de Broadway. Elle chante, elle joue, elle danse. «Elle est née pour jouer Judy», croit Roger LaRue qui campe son accompagnateur pianiste, aux côtés d'Éric Robidoux, qui incarne Mike.

«Cette pièce me permet d'ajouter un nouveau matériau à mon travail de metteur en scène: la musique, conclut Michel Poirier. On a une trame musicale qui sonne comme l'équivalent d'un orchestre de 31 musiciens! Toutefois, le spectacle n'est pas une comédie musicale. C'est une oeuvre dramaturgique avec un personnage qui chante et de la musique qui s'imbrique dans le récit.»

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Au Théâtre Jean-Duceppe du 8 avril au 16 mai.

Judy Garland et la communauté LGBT

Parallèlement à la production chez Duceppe, on peut voir Judy Garland a dormi dans cette ville, autre pièce qui s'inspire de la légendaire interprète d'Over the Rainbow et qui dénonce l'homophobie aux États-Unis. Le rapprochement entre Garland et l'homophobie n'est pas dû au hasard. La chanteuse est, depuis toujours, une icône de la communauté homosexuelle. On dit d'ailleurs que ses funérailles, en juin 1969, ont contribué à déclencher les émeutes du bar Stonewall à New York. Une révolte qui symbolise la naissance du mouvement pour les droits LGBT. À l'Espace 4001 (rue Berri), du 23 avril au 10 mai.

Cinq films marquants de Judy Garland

THE WIZARD OF OZ

Victor Fleming (1939)

Elle avait déjà tourné plusieurs films, mais The Wizard of Oz fera de Judy Garland, alors âgée de 17 ans, une véritable star. En 1940, l'Académie lui remet un Oscar spécial «pour une performance exceptionnelle de la part d'une jeune actrice». Pas mal pour une comédienne qui, selon la légende, a décroché le rôle «par défaut». Le studio MGM souhaitait en effet embaucher Shirley Temple, mais cette dernière avait un contrat avec un studio rival.

MEET ME IN ST. LOUIS

Vincente Minnelli (1944)

Ce succès critique et populaire marque la rencontre entre Judy Garland et Vincente Minnelli. L'actrice et le cinéaste tombent amoureux pendant le tournage de cette comédie musicale construite autour des premières amours. Ils se marieront l'année suivante. Leur première fille, Liza, naîtra en 1946. Le divorce est prononcé en 1951.

ZIEGFELD FOLLIES

Vincente Minnelli et six autres cinéastes (1945)

En plein âge d'or de la comédie musicale, Judy Garland est la vedette de ce film pour lequel pas moins de sept cinéastes, sous la direction de Vincente Minnelli, se partagent la réalisation des différents numéros. Les noms les plus célèbres de l'époque font aussi partie de la distribution, notamment Fred Astaire, Lucille Ball, Fanny Brice, Gene Kelly, Lena Horne, Red Skelton, Esther Williams et William Powell.

A STAR IS BORN

George Cukor (1954)

Aux yeux de bien des amateurs, cette deuxième des trois versions cinématographiques existantes de A Star is Born constitue le film phare de la carrière d'actrice de Judy Garland. Elle décrochera d'ailleurs une nomination aux Oscars - la seule qu'elle obtiendra dans la catégorie de la meilleure actrice -, mais l'honneur échoira à Grace Kelly cette année-là. Barbra Streisand reprendra le rôle en 1976. Bradley Cooper a le projet d'en réaliser une nouvelle version avec Beyoncé pour tête d'affiche.

JUDGMENT AT NUREMBERG

Stanley Kramer (1961)

À une époque où elle se consacre davantage à ses spectacles, Judy Garland accepte de camper un second rôle dans ce drame historique faisant écho au procès de juges nazis, accusés de crimes de guerre. L'actrice obtient alors sa deuxième nomination aux Oscars, cette fois dans la catégorie du meilleur rôle de soutien. Six ans avant sa mort, Judy Garland tournera I Could Go on Singing, son ultime film.