Il s'agit certainement de l'une des pièces les plus attendues de l'année. Cette nouvelle adaptation de Richard III mise en scène par Brigitte Haentjens réunira sur scène une vingtaine d'acteurs de premier plan menés par le comédien et chanteur Sébastien Ricard. Une pièce sur la quête du pouvoir qui colle parfaitement à notre actualité.

L'acteur et chanteur de Loco Locass jouera sur scène l'un des plus grands rôles du répertoire masculin. Mais à la différence de sa prestation dans La nuit juste avant les forêts, de Bernard-Marie Koltès, Sébastien Ricard ne sera pas seul, cette fois. L'interprète qui a incarné Dédé Fortin au grand écran sera entouré d'une distribution tout étoile rarement réunie au théâtre: Sylvie Drapeau, Marc Béland, Monique Miller, Paul Savoie, Louise Laprade, Emmanuel Schwartz, Étienne Pilon, Hubert Proulx, Olivier Morin, Sophie Desmarais... Et on en passe!

La metteure en scène Brigitte Haentjens renoue ainsi avec son ami et complice, qu'elle a dirigé dans la pièce de Koltès, mais aussi dans Woyzeck, Vivre et L'opéra de quat'sous. C'est d'ailleurs en pensant à Sébastien Ricard qu'elle a choisi de monter son premier Shakespeare.

«On veut offrir aux gens qu'on aime et qui nous inspirent artistiquement quelque chose qui les met au défi autant qu'on peut soi-même être mis au défi. Dans Richard III, les enjeux dramaturgiques sont énormes, les sens sont multiples, le texte est dense. C'est tout un défi pour moi et un rôle immense pour Sébastien.»

Comme pour tous ses projets, Brigitte Haentjens a pris le temps de bien faire les choses. Près de trois ans, en fait.

Du travail dramaturgique et de la traduction, confiée à Jean-Marc Dalpé, aux premières lectures, en passant par la scénographie et la direction d'acteurs, la metteure en scène s'est peu à peu approchée de ce qu'elle voulait faire, «avançant en trébuchant», pour reprendre ses mots, jusqu'à la délimitation d'un espace relativement vide mais incliné vers le public où se jouera le drame de Richard III. «J'ai toujours le désir de rapprocher la scène de la salle. J'aime que la scène soit dévouée aux acteurs.»

La bouffonnerie du pouvoir

L'intérêt pour cette pièce ne date pas d'hier. En 1989, Guy Nadon avait défendu le rôle du monarque mort au combat en 1485. Plus tôt cette année, le Richard III d'Angela Konrad a pris les traits d'une metteure en scène tyrannique au Quat'Sous. L'acteur américain Kevin Spacey a lui-même interprété le rôle du duc de Gloucester au théâtre, s'inspirant de ce rôle pour composer son personnage de Frank Underwood dans la série House of Cards. Son Richard III a ainsi pris les traits d'un politicien...

Le parallèle avec le monde politique n'est pas fortuit. «C'est un texte qui explore la notion de pouvoir et de puissance, nous dit Brigitte Haentjens. Mais aussi celle de compromission, l'idée que nous nous compromettons dans le politique et que nous acceptons, consciemment ou non, d'être manipulés. La pièce explore aussi à fond l'idée du jeu avec un public. L'idée de la bouffonnerie du pouvoir. Mais il n'y a rien de manichéen. C'est une pièce qui nous confronte à la complexité des choses. »

Richard III fait tomber le fameux quatrième mur en se confiant directement au public, qui devient son complice, l'une des brillantes trouvailles de Shakespeare - procédé repris par Frank Underwood, soit dit en passant... Nous serons donc témoins des machinations du duc de Gloucester, qui planifie son ascension en éliminant méthodiquement tous ceux qui sont sur son chemin. Il ne recule devant rien, n'hésitant pas à séduire Lady Anne, dont il a tué le mari et le beau-père!

«Il transgresse la convention, estime Sébastien Ricard. Comme le politique. On sait très bien que la politique nous mène en bateau, dit-il. C'est comme si Shakespeare réfléchissait à cette convention entre le public au théâtre et les citoyens avec la politique, à ce qu'on est prêt à accepter pour jouer cette partie-là collectivement et pour vivre en communauté. Richard est un personnage intéressant parce qu'il fait ce que les politiciens font rarement: il va au bout du mandat qu'il s'est donné.»

Un parcours jalonné de cadavres

Les meurtres qu'il commet pour accéder au trône, Brigitte Haentjens les interprète comme des gestes semblables à ceux des adversaires politiques. «Symboliquement, c'est comme écraser un adversaire, insiste-t-elle. Les couteaux volent bas en politique, quand même. Il y a plein de gens qu'on sacrifie. La tyrannie s'exerce aussi par le contrôle absolu des médias et de la culture. On pourrait même croire qu'on vit en tyrannie, aujourd'hui», affirme-t-elle.

Sébastien Ricard estime que son rôle dans La nuit juste avant les forêts lui a permis de prendre à bras-le-corps celui de Richard III. «Ce rôle exigeait une telle compromission physique qu'aujourd'hui, je me sens capable d'aborder la dangerosité d'un rôle comme celui de Richard III.» Reste que l'acteur a dû trouver l'équilibre entre le personnage hideux et difforme qu'était le duc de Gloucester (celui-ci était bossu) et son côté séducteur, qui lui a permis de manipuler son entourage.

«Ce personnage, qu'on décrit comme un monstre et un psychopathe, a des mobiles et des raisons qui sont tous humains et que je peux faire miens, que je peux comprendre, indique Sébastien Ricard. C'est ce qui est le plus troublant. Il est entouré de gens tout aussi ignobles que lui. C'est un homme qui va plus loin que les autres, et c'est ce qui dégoûte les gens. Ce qui les dégoûte aussi, c'est qu'un personnage difforme aille aussi loin. On se demande comment un crapaud peut prétendre aux honneurs les plus élevés... Au fond, quand on y pense, il a une volonté qui est admirable.»

Au TNM du 10 mars au 4 avril

Quatre autres projets de Sébastien Ricard

Cinéma

Chorus

Sébastien Ricard fait équipe avec Fanny Mallette dans le dernier film de François Delisle, qui a été présenté à Sundance et à la Berlinale et qui vient de prendre l'affiche au Québec. Les deux acteurs forment, dans le film, un couple séparé qui se retrouve après l'identification du corps de son enfant, disparu 10 ans plus tôt.

Musique

Loco Locass

Batlam n'est jamais très loin de Sébastien Ricard. Depuis la sortie de l'album Le Québec est mort, vive le Québec! en 2012, Loco Locass a donné de nombreux spectacles. Le trio de rappeurs prévoit de se produire à nouveau l'été prochain. D'ici là, Sébastien Ricard compte écrire de nouvelles chansons après Richard III.

Télévision

Le clan

Cette nouvelle télésérie tournée au Nouveau-Brunswick sera diffusée à Radio-Canada à l'automne. Écrite par Joanne Arsenault et réalisée par Jim Donovan, Le clan est un thriller familial où le personnage central sera rattrapé par son passé. Un homme avec une double vie.

Événement

Une suite à Nous?

Avec Brigitte Haentjens, Sébastien Ricard a d'abord mis en scène Le moulin à paroles, qui proposait la lecture des textes fondateurs de l'histoire du Québec. Il y a deux ans, les deux artistes en remettaient avec Nous? , en s'intéressant au sens à donner à la démocratie. On peut s'attendre à un autre «happening» du même genre.