Pas facile d'entrer dans la tête de Nine. L'adolescente abandonnée par sa mère, séquestrée durant un an par son père, et protagoniste du Désir de Gobi. C'est pourtant ce qu'exige cette (première) pièce de l'auteure Suzie Bastien, créée au Quat'Sous il y a 15 ans et reprise actuellement au Prospero. Mais, si on perce le quatrième mur, cette oeuvre à l'écriture sensible et fine, nous touchera assurément.

L'enjeu (et l'argument) de ce huis clos de 90 minutes, avec de grandes fenêtres ouvertes sur l'imaginaire, se trouve donc dans la tête de Nine. Elle dira d'ailleurs que sa tête est pleine «d'histoires d'hécatombes».

Contre son gré, elle se confie tant bien que mal à un psychothérapeute (qu'elle surnomme Morlock). Et rêve de partir avec Colas, son ami imaginaire, dans le désert de Gobi pour s'inventer une nouvelle vie et fuir ce monde où elle sent extraterrestre.

Une (première) mise en scène réussie

Ce texte qui fut d'abord un monologue a les défauts de ses qualités. Suzie Bastien semble avoir laissé son personnage l'a guidée dans l'écriture, et épouser sa catharsis. Son récit de la détresse d'une enfance brisé est parfois lourd. Par moment, le spectateur aurait envie de lancer, en même temps que Colas et Nine, un grand cri primal pour se délivrer de la représentation. 

Heureusement, la mise en scène d'Emmanuel Robichaud est appliquée et aussi ludique. Pour son premier rendez-vous professionnel, Robichaud (cofondateur du Théâtre de l'Ombre rouge qui produit le spectacle) fait preuve d'une belle et fertile imagination, d'un sens aigu de l'espace scénique (la salle intime du Prospero est entièrement et bellement utilisée) et d'un talent pour la direction d'acteurs. 

Dans la distribution, Gabrielle Lessard incarne avec brio Nine. Avec candeur et vulnérabilité, l'actrice évoque le terrible destin de son personnage sans tomber dans le mélodrame. Dans la scène où elle nomme enfin l'origine de sa blessure, elle est tout simplement bouleversante! 

En Colas, Jonathan Hardy apporte beaucoup de fraîcheur et de luminosité dans cet univers sombre. Vincent Magny joue un psy plein d'écoute et de compassion. 

Allégorie sur l'abandon, la trahison et les désillusions de l'enfance, un peu comme chez Réjean Ducharme, Le Désir de Gobi risque de toucher aussi un public qui a l'âge de Nine. Surtout avec cette lecture de Robichaud. On serait curieux de voir la réaction des adolescents face au désarroi de Nine. Et à sa difficile et belle renaissance.

***

Le désir de Gobi

De Suzie Bastien

Mise en scène par Emmanuel Robichaud

Au Théâtre Prospero, jusqu'au 5 mars