De nos jours, celui qui jappe le plus fort a toujours le dernier mot. La réflexion est devenue un luxe dans notre société qui se dit pourtant évoluée. On s'exprime sur tout et on débat sur rien. La démocratie à l'ère des médias sociaux a engendré un monstre, une dictature de l'opinion, qui se nourrit de haine et d'ignorance.

Voilà en gros le propos de la nouvelle pièce d'Olivier Choinière, Ennemi public, à l'affiche du Théâtre d'Aujourd'hui. Une création qui ne laissera personne indifférent. On la reçoit comme une petite bombe dans le confort de nos certitudes.

Un peu comme dans 24 poses (portraits) de Serge Boucher, créée au même endroit en 1999, l'auteur met en scène, de manière hyperréaliste, une famille québécoise de la classe moyenne. Une famille d'apparence tissée serrée, mais dont les liens sont toutefois basés sur l'envie et le ressentiment. 

La scène se passe lors d'un souper chez une grand-mère (Muriel Dutil) avec ses trois enfants et ses deux petits-enfants. Les conversations s'entremêlent autour de la table. Elles sont d'abord banales, mais au dessert, les choses se corsent lorsqu'on aborde des questions d'actualité : le drame de Lac Mégantic, l'affaire Magnota, le jugement de l'infanticide de Guy Turcotte et autres sujets politico-médiatiques. Les avis sont tranchés au couteau. Les uns parlent par-dessus les autres. Les discussions s'interrompent brièvement, le temps de gronder les adolescents dans le salon... Puis reprennent sur le même ton. 

Humour noir

Avec cette belle cacophonie de mots, Choinière illustre avec aplomb sa thèse : le moteur du tissu social du Québec actuel est la détestation de l'autre, la recherche d'un bouc-émissaire pour éviter de porter une quelconque responsabilité sur nos fautes, nos malheurs. 

Certes, on rit souvent durant Ennemi public. La pièce est traversée d'humour noir et de répliques qui font mouche. La mise en scène de Choinière joue avec une trame sonore digne d'un thriller, un décor pivotant, des éclairages aveuglant et des projections tantôt amusantes, tantôt apocalyptiques. On ne s'ennuie pas une seconde durant cette production de 85 minutes. Or, le constat demeure troublant : la société québécoise régresse à vitesse grand V! Culturellement et socialement, le Québec s'appauvrit. 

La distribution est sans faille, incluant les deux enfants. Muriel Dutil trouve ici un grand personnage dans le rôle de France; cette grand-mère représente un condensé du matriarcat québécois. On ne le dit pas assez : Muriel Dutil est l'une des plus grandes actrices de sa génération!

À ses côtés, Brigitte Lafleur, Steve Laplante et Frédéric Blanchette exécutent avec brio leur partition. Dans le dernier acte qui se déroule un an plus tard, Blanchette (le mouton noir de la famille) se transforme complètement, comme abattu par le poids des siens et de son époque. Le fils ingrat s'est résolu à se mettre en couple avec une femme bavarde et manipulatrice (truculente Amélie Grenier). 

La scène finale est d'une infinie tristesse, alors que la bibliothèque familiale est dilapidée et que les livres seront donnés comme des colifichets dans une vente de garage. Est-ce ainsi que les sociétés évoluent ? 

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De et mise en scène par Olivier Choinière 

Avec Muriel Dutil, Steve Laplante, Brigitte Lafleur, Frédéric Blanchette...

Jusqu'au 21 mars, au Théâtre d'Aujourd'hui