Il faut éviter de mélanger l'alcool fort avec l'amertume, la souffrance et la tristesse. C'est un cocktail fatal. Le plus grand auteur de théâtre américain toujours vivant, Edward Albee (86 ans), en a fait l'implacable illustration dans Qui a peur de Virginia Woolf?, psychodrame mettant en scène un couple de bourgeois désabusés et amers, créé en 1962 à New York et remonté régulièrement, tant à Broadway qu'au Québec.

Depuis 40 ans, la Compagnie Jean Duceppe puise inlassablement dans le vieux répertoire américain, avec en tête des pièces de Miller, Simon et Williams. Cet hiver, la compagnie nous propose cette pièce culte d'Albee, dans une mise en scène de Serge Denoncourt, dont la première a eu lieu jeudi. On peut se demander: pourquoi revisiter ce répertoire avec la production d'un huis clos violent et verbeux entre des universitaires qui se lancent des vacheries au vitriol durant près de trois heures? Or, la pièce reste toujours aussi cruelle, pertinente et percutante. Encore faut-il que la mise en scène «accote» l'oeuvre.

Malheureusement, Serge Denoncourt (qui vient de monter un très bon Williams à l'Espace Go) rate ici son rendez-vous. Au début, on se croirait même au milieu d'un boulevard: sa direction pousse étrangement le drame vers le rire, la facilité, voire la caricature. La salle s'esclaffe souvent, alors que le récit expose clairement que nous allons assister à un spectacle d'horreur et à une nuit de beuverie sans fin. Un duel entre des époux (George et Martha) qui entraînent dans leur cruauté éthylique, leur jeu macabre, un jeune couple d'invités pris au piège du mal de vivre de ses hôtes.

Interprétation inégale

C'est Normand D'Amour qui joue George, le professeur d'histoire «sans ambition» qui a épousé la fille du recteur. L'acteur est extraordinaire.

Il nous laisse sans cesse voir la faille sous la colère, la blessure sous le cynisme de son personnage. Malheureusement, dans le rôle de Martha, Maude Guérin, l'une des meilleures actrices au Québec, en fait trop. Résultat: on voit davantage l'actrice jouer que le personnage (sur) vivre et souffrir. Toutefois, son jeu s'ajuste au deuxième acte.

François-Xavier Dufour est très juste et très bon dans la peau du jeune prof de biologie. Sa femme, un peu sotte, est défendue par Kim Despatis. Elle lui donne un fort accent comique qui frôle parfois le cabotinage.

On sort de chez Duceppe assez perplexe. Serge Denoncourt parle uniquement de douleur dans son mot du programme. Il écrit que «la douleur est la nourriture du théâtre». Alors, pourquoi a-t-il (pratiquement) transformé ce psychodrame en comédie de moeurs?

* * 1/2

Au Théâtre Jean-Duceppe, jusqu'au 28 mars.