«Venez chercher des mots, puisqu'il vous faut des mots...», chantait Claude Léveillée dans Bonsoir Édith, qu'il dédiait à sa «chère» Édith Piaf. C'est exactement ce que fait Evelyne de la Chenelière dans cette pièce construite à partir du roman de Virginia Woolf, Vers le phare. Elle nous offre des mots.

Des mots qui traduisent la pensée et l'espérance de deux femmes que tout semble opposer: Madame Ramsay, convaincue que le bonheur est dans le mariage et la famille; et puis son amie Lily Brisco - notez qu'elle n'a pas droit au titre de «Madame» - certaine de ne pas vouloir se marier et déterminée à se consacrer à son art, la peinture.

Comme elle l'avait fait dans sa pièce Une vie pour deux, libre adaptation du roman de Marie Cardinal, Evelyne de la Chenelière parvient de brillante manière à extirper les personnages romanesques de Woolf de leur cadre d'origine pour leur donner une vie nouvelle, sur scène, dans le prolongement et l'esprit de l'auteure.

Car n'oublions pas que Vers le phare est paru en 1927, à une époque où les femmes n'étaient en général «ni écrivaine ni peintre». Cet esprit-là est intact dans Lumières..., même si, aujourd'hui, les femmes modernes sont plutôt un croisement entre Madame Ramsay et Lily Brisco. On peut prendre ici toute la mesure du chemin parcouru.

N'empêche que leurs réflexions sur les relations hommes-femmes sont d'une grande justesse et permettent d'amener une petite touche d'humour à ces destins de femmes. Ces segments-là sont d'ailleurs les plus savoureux de Lumières... Tout comme ceux portant sur les jeux d'apparences, qui font que «l'on ne peut jamais dire ce que l'on pense».

Mais en plus de ce point de vue féminin, Evelyne de la Chenelière aborde notre rapport au temps et à la mémoire.

D'ailleurs, au fil de ce dialogue entre les deux femmes, et de la guerre qui va bouleverser leurs vies, les temps de verbe vont carrément changer. On passe du présent de l'indicatif au futur antérieur, puis au conditionnel... Un procédé qui aurait pu encombrer ou obscurcir le récit. Pourtant, non, c'est l'une des plus jolies caractéristiques du texte.

Le poids des mots

Les deux interprètes, Anne-Marie Cadieux et Evelyne Rompré défendent bien cette longue partititon, même si on croule parfois sous le poids de tous ces mots. Oui, pour faire référence au titre de la pièce, on est parfois aveuglés par leur lumière. D'autant plus que la mise en scène de Denis Marleau est assez statique.

La scénographie, par ailleurs, est magnifique. Pour bien camper le lieu de cette résidence de bord de mer, des projections vidéo de scènes extérieures, rochers, promontoires et mouvements de vagues servent de décor. Comme elles sont projetées sur des miroirs, les personnages se trouvent à être intégrés dans l'image. L'effet est saisissant.

Si Evelyne Rompré brille dans son rôle de Lily Brisco - on sait qu'elle a remplacé Evelyne de la Chenelière au pied levé -, Anne-Marie Cadieux compose un personnage beaucoup trop proche de sa Molly Bloom, qu'elle a incarnée il y a quelques mois sur cette même scène. Avec ce ton désincarné d'ingénue illuminée, parfois irritant.

Il reste que recevoir tous ces mots, aussi lumineux soient-ils, peut être exigeant. Peut-être avaient-ils besoin d'un peu plus de mouvements pour se rendre tout à fait jusqu'à nous.

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À l'Espace GO jusqu'au 6 décembre.