Primitif et sacré. C'est par ces mots qu'Alix Dufresne résume Les paroles de Daniel Keene. Depuis près de 20 ans, l'auteur australien est souvent produit en France, mais rarement au Québec (Roche, papier, ciseau à Espace Libre en 2004). C'est donc avec beaucoup de curiosité qu'on a assisté, mardi soir, à la première de Paroles.

Produite par la compagnie de l'acteur Fabien Dupuis, J'Le dis là, cette courte pièce mise en scène par Alix Dufresne dans la grande salle du Prospero, entièrement réaménagée pour l'occasion, met en vedette Marc Béland et Rachel Graton.

Et quel objet scénique intéressant, voire inquiétant! Bien ciselé, fort riche visuellement et formellement, l'ouvrage de Dufresne démontre hors de tout doute que la jeune metteure en scène (promotion 2014 de l'École nationale de théâtre) est à sa place dans le milieu de la création théâtrale. 

Les paroles nous happent et nous intéressent dès les premières minutes. La pièce trace le portait d'un couple en quête de sens. Paul (Marc Béland, très en forme), un preacher, va de ville en ville pour propager la parole de Dieu accompagné de sa femme Hélène (Rachel Graton, gracieuse et puissante). Les deux mystérieux protagonistes traînent leur fardeau en chemin. Et ce n'est pas une image. À l'instar de la roche du mythe de Sisyphe, ils ne cessent de transporter une lourde malle, symbole de leur difficile et douloureuse quête.

Car Paul prêche dans le désert. Comme s'il n'y avait plus personne sur Terre pour l'écouter. Amoureuse, bien qu'elle ne partage pas la foi de son époux, Hélène lui dira: «Il y a des mots qui ne peuvent plus rien signifier pour vous.» 

Paradis perdu

Dans le décor épuré et abstrait du talentueux Max-Otto Fauteux, sous la lumière belle et froide d'Erwann Bernard, l'univers de Paroles a des allures post-apocalyptiques qui évoquent le roman La route de Cormac McCarthy. Ni enfer ni paradis perdu, le récit des protagonistes ressemble à un voyage immobile. Les interprètes parlent autant avec le corps qu'avec la voix... (Alix Dufresne propose un théâtre gestuel singulier, une sorte de croisement entre Omnibus et Carbone 14!)

Ironiquement, ce théâtre gestuel semble plus volubile que le texte métaphorique de Keene. L'oeuvre est difficile à saisir. La metteure en scène a peut-être trop apposé sa signature, riche et théâtrale, certes, mais qui nous distrait du propos de la pièce. Un texte sur la quête de sens et le vide spirituel aurait sans doute bénéficié du travail d'un dramaturge. Pour mieux décortiquer et éclairer l'oeuvre afin de fournir plus de pistes d'interprétation aux spectateurs.

Dans sa forme actuelle, Les paroles forment un objet scénique fort intéressant, mais dont la pertinence nous échappe. Reste qu'il ne faut pas vous priver de la découverte d'une jeune metteure en scène de talent. 

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Au Théâtre Prospero, jusqu'au 1er novembre.