Sans surprise, le théâtre est le parent pauvre des disciplines pratiquées par les acteurs et les actrices au Québec. Or, c'est aussi un art noble, pour lequel bien des interprètes acceptent parfois de travailler en dessous du salaire minimum.

Tous les acteurs sont payés au cachet par représentation. Depuis quelques années, ils touchent aussi un salaire pour les répétitions, à un taux horaire fixé par des ententes avec l'Union des artistes (UDA). La mémorisation du texte, la promotion, l'entraînement, ainsi que tout le travail de préparation du rôle sont aux frais du comédien.

Au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) et chez Duceppe, un premier rôle peut aller chercher 500 dollars par représentation. Au Rideau Vert, au Quat'Sous, à l'Espace Go et au Théâtre d'Aujourd'hui - de plus petites salles - le tarif plancher de l'UDA est plus bas. Et le cachet est négociable. Par contre, au Nouveau Théâtre Expérimental, c'est la politique du cachet unique qui a cours pour tout le monde, peu importe le rôle (environ 280$ par représentation).

«On ne fait pas du théâtre pour l'argent, mais pour le plaisir d'être sur scène, confirme Éric Bruneau, qui a incarné Valmont dans Les liaisons dangereuses chez Duceppe au printemps dernier. Ce rôle m'a pris beaucoup d'heures de répétitions - environ 25 heures étalées sur quatre ou cinq jours par semaine. Juste le temps d'apprendre son texte et l'acteur passe au travers du cachet! Tout compte fait, ça revient au salaire minimum!»

Avec le temps, les règles des contrats de l'UDA avec les compagnies de théâtre ont été assouplies afin de tenir compte de la réalité du (petit) marché théâtral. Comme l'arrivée de plusieurs nouvelles compagnies non subventionnées, fondées par des interprètes qui désirent se produire sur scène à tout prix. «On est là pour protéger les droits et les intérêts de nos membres. Or, nos membres veulent jouer au théâtre», explique le comédien Jack Robitaille, vice-président de l'UDA.

Un acteur n'aura pas le même salaire s'il est engagé par un théâtre privé ou public, par un théâtre jeunesse ou pour un spectacle en tournée; s'il joue pour une compagnie possédant sa propre salle et une programmation à l'année ou pour une troupe sans toit ni saison régulière. Les cachets varient également selon le nombre de sièges et de représentations garanties.

«Payer» pour jouer Cyrano

Prenons Cyrano de Bergerac. LE grand rôle du répertoire français, un personnage imposant et présent sur scène durant trois heures, avec quelque 1600 vers à dire durant la pièce. Aux côtés des Hamlet, Willy Loman et autres Alceste (Le Misanthrope), Cyrano, pour un acteur, c'est l'équivalent de gagner la Coupe Stanley!

Patrice Robitaille l'a joué avec brio l'été dernier au TNM. Son cachet? Autour de 800 dollars par représentation (davantage pour les supplémentaires). Si on compte un total de 32 représentations et les répétitions payées au tarif de l'UDA pour ce type de rôle et de production (un peu plus de 20$ l'heure), on arrive à un revenu estimé à 40 000$ pour une année de travail, dont quatre mois à plein temps.

«Au bout du compte, ça lui a coûté de l'argent pour jouer Cyrano! nous dit son agent, Maxime Vanasse. Puisque les tournages ont lieu au début de l'été, alors que Patrice se consacrait exclusivement à Cyrano, il a dû refuser des offres à cause de Cyrano.»

Toutefois, Cyrano sera payant à moyen et long terme pour Robitaille: «C'est un rôle glorieux qui fait grandir un acteur, poursuit Vanasse. Dans 30 ans, les gens vont se rappeler que Patrice a joué Cyrano au TNM.»

Marge de négociation

Les agents font valoir l'expérience et la notoriété d'un acteur qui joue un premier rôle pour négocier son cachet. «On regarde l'historique des compagnies, combien un tel a été payé pour jouer le même rôle, explique Maxime Vanasse, qui s'occupe de plusieurs interprètes dont Pascale Bussières, Julie LeBreton et Guillaume Cyr. On regarde si c'est une oeuvre chorale ou si la pièce repose sur les épaules d'un seul acteur. On compare des pommes avec des pommes.»

Maxime Vanasse reconnaît qu'il a peu de marge de manoeuvre pour négocier à la hausse les tarifs planchers de l'UDA. Il préfère augmenter le cachet de ses vedettes pour les supplémentaires. Car, si une pièce cartonne, c'est souvent grâce à la prestation des acteurs. «Mais là, je suis en train de donner mes trucs d'agent à La Presse», rigole-t-il.

Dans le cas des productions autogérées ou sans aucune subvention, les acteurs peuvent partager un pourcentage des recettes de la salle, ou encore s'entendre sur un cachet symbolique avec le directeur de la troupe. L'an dernier, deux actrices connues à la télévision, avec 25 ans d'expérience, nous ont confié gagner 75 dollars par représentation pour jouer dans une création dans une salle de 75 places... Un dollar par spectateur!

Finalement, le lieu commun s'applique vraiment: au théâtre, le salaire du comédien, ce sont les applaudissements du public.