Le Théâtre de la Licorne ouvre la rentrée montréalaise avec la création Napoléon voyage, de Jean-Philippe Lehoux, sous la direction de Philippe Lambert. Un passeport pour aller à la rencontre de l'autre et de soi.

À sa manière unique, Barbara les a chantés: «Les voyages tournent une page»... Pour Jean-Philippe Lehoux, ils servent plutôt à les remplir, ces pages. Depuis sa sortie de l'École nationale de théâtre, en 2009, l'auteur et interprète a écrit plusieurs pièces inspirées de ses voyages ou autour de ce thème: Comment je suis devenue touriste, L'écolière de Tokyo (prix Gratien-Gélinas 2013) et Le bras canadien et autres vanités. Dans ce dernier texte, Lehoux revisite l'histoire du Petit Prince, dont la planète est assiégée par... des touristes de l'espace!

L'an dernier, Lehoux est parti seul pendant un mois dans la petite ville de Normal, en Illinois, destination sans attrait choisie par des spectateurs de La Licorne dans le cadre de son projet Les contournables. Il écrira un nouveau spectacle à partir de ce voyage insolite.

Mais d'abord, il joue et monte avec Philippe Lambert Napoléon voyage, un solo écrit à partir de ses périples, sac au dos, de la Syrie au Japon en passant par Cuba, la Norvège et les Balkans. Le spectacle est produit par sa nouvelle compagnie, le Théâtre Hors taxes, et lance la saison de La Licorne aujourd'hui.

Le voyage, c'est les rencontres

Cette pièce n'a rien d'historique, encore moins d'héroïque. Son titre complet est d'ailleurs Napoléon voyage (où Napoléon est remplacé par un inconnu qui n'a jamais tué de Prussiens). D'entrée de jeu, Lehoux lance donc qu'il n'est «pas Napoléon, ni Marco Polo, pas même Gilles Proulx» avant de raconter une décennie de voyages en solitaire.

Son récit, à la fois drôle et poétique, émouvant et signifiant, se télescope dans le temps et l'espace, accompagné par la musique de l'auteur-compositeur-interprète Bertrand Lemoyne.

Qu'est-ce que l'auteur a surtout retenu de ses voyages? «Les rencontres, répond-il du tac au tac. Voyager redonne foi en l'humanité, en la chaleur humaine. Quand tu regardes le monde à travers la fenêtre des médias, tu vois uniquement des guerres, des catastrophes, le côté spectaculaire. Or, si tu prends le temps de vivre avec les gens dans leur quotidien, tu réalises qu'au fond, tout le monde cherche la même chose: le bonheur, la paix. Du moins, 99,9% des gens sur Terre.»

Une autre belle leçon de ses voyages dans le monde, c'est le partage. Selon lui, on ne verra jamais de gated community dans les pays pauvres; plutôt des gens qui ouvrent la porte de leur maison à un jeune homme seul, lui servent le thé et le saluent «en portant toujours la main sur leur coeur».

Sans vouloir lancer une polémique, l'auteur se questionne sur notre société. Le Québec est-il aussi ouvert et accueillant qu'on le prétend? «J'ai grandi à Charlesbourg. Or, je ne pense pas qu'un étranger errant avec son sac à dos dans les rues de Charlesbourg se ferait inviter à souper, à coucher et installerait sa tente sur le terrain d'un banlieusard...»

Bon point.

«Quand je suis allé en Syrie, avant la guerre, en 2009, j'avais plein d'images violentes dans la tête. Or, j'y ai rencontré surtout des gens accueillants, pleins de tendresse et de gentillesse. Des gens fiers de te montrer le peu qu'ils ont.»

Voyager pour écrire

Si Napoléon voyage porte un regard sociologique sur le monde, il s'agit essentiellement d'un récit autobiographique, tissé d'images, d'anecdotes et de souvenirs impressionnistes. Car, bien avant le théâtre, c'est le voyage qui a donné le goût de l'écriture à Lehoux. L'auteur de 32 ans remplit des carnets depuis l'âge de 17 ans.

C'est aussi un spectacle intime et personnel, car les voyages sont toujours une quête de soi. «C'est paradoxal: j'ai souvent voyagé seul, mais je n'aime pas la solitude, dit-il. Je suis extrêmement timide et vulnérable. Mais en voyage, je n'ai pas le choix d'aller au-devant des gens.»

Or, il le fait toujours avec discrétion et politesse. Lehoux a appris de son père - qui aime beaucoup voyager lui aussi - qu'on doit faire preuve d'une grande humilité à l'étranger.

Jean-Philippe Lehoux fait partie du groupe d'auteurs en résidence à La Licorne cette année. On lui a posé la question thème de la saison 2014-2015: «Comment habitez-vous votre territoire?» Il a répondu par cette belle formule: «La Terre est belle mais je m'ennuie de ma blonde.»

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage...

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À La Petite Licorne, du 25 août au 12 septembre.

Extrait de Napoléon voyage

«Je veux dire même à Deir El-Zor. Une ville pas fiable fiable à la frontière de l'Irak. Je me sentais dans mes pantoufles. Les gens me disaient de pas y aller. Y me disaient que c'était dangereux. Qu'y avait rien à voir là.

«Va à Palmyre. Y a des belles ruines à Palmyre. Pis tu peux monter des dromadaires. En te bourrant la yeule de mensaf.» Bon. C'est vrai que la ville de Deir El-Zor est pas très jolie. C'est genre... Shawinigan qui sent le mouton pas cuit, là, tsé. C'est chaud, ça se bouscule, ça parle fort. C'est arggg!

Mais au moment où je me suis posé sur la place publique, ça faisait la file pour venir me parler. Des enfants. Des étudiants. Des vieillards... Un groupe de femmes ont mis en pratique leur anglais. Un homme m'a offert une coupe de cheveux - moi qui étais déjà rasé. Deux Bédouins majestueux m'ont offert le thé. Pis surtout, on me souhaitait la bienvenue dans la ville.

La main sur le coeur. Ce geste-là est le plus beau qui existe, et me faisait fondre chaque fois. Je l'ai vu partout en Syrie.»