Mardi à l'aube, une longue ovation a salué au Festival d'Avignon la fin de la première représentation d'Henry VI du jeune metteur en scène Thomas Jolly, qui, pendant 18 heures, est restée extraordinairement fidèle à Shakespeare.

Entrés à 22 h la veille dans la salle de 600 places, les spectateurs auront été bien peu à déserter ce long spectacle aux sept entractes qui tenait à la fois de la série télévisée pour ses effets et son suspense, et du grand Shakespeare pour le texte parfaitement audible et la théâtralité intacte.

Il fallait peut-être l'audace d'un très jeune metteur en scène - 28 ans au début du projet de quatre ans, 32 ans aujourd'hui - pour monter cette pièce de la démesure: Henry VI, c'est trois pièces en une, 15 actes et 150 personnages, une débauche de batailles et des fleuves de sang versés.

L'intrigue est impossible, truffée de pairs du royaume attachés à s'entretuer avec ardeur, traversée par la guerre de Cent Ans, puis celle des «Deux Roses», interminable querelle sur la légitimité du trône.

Ce n'est pas la moindre qualité de cet Henry VI que d'avoir su rendre parfaitement intelligible l'arbre généalogique compliqué de la royauté britannique au 15e siècle. Pour y parvenir, Thomas Jolly le déploie physiquement sur scène deux fois, sans que cela passe jamais pour une leçon d'histoire, et fait appel à une narratrice irrésistible, Manon Thorel, dont chaque intervention lors des sept entractes ravit littéralement le public.

Sur 13 heures de spectacles (hors entracte), tous les registres du théâtre de Shakespeare sont honorés avec inventivité et brio par la troupe de 21 comédiens, de la farce à la tragédie en passant par une fête techno et un carnaval.

On rit beaucoup, ce qui est un comble dans une pièce d'une réelle noirceur. Ici c'est le messager du roi qui fait des apparitions éclairs en patins à roulettes, là, un téléphone rouge vif au milieu d'une scène en costumes: autant de piques d'humour qui font ressortir le tragique.

Rien du texte touffu n'a été sacrifié ou presque, des scènes les plus ardues et des monologues sur l'appétit de pouvoir, la douleur des fils orphelins et des pères endeuillés dans ce long massacre.

Thomas Jolly compose lui-même un très beau rôle d'ange noir pour le futur Richard III, né difforme et qui se choisit un destin d'assassin. Car Henry VI, première des pièces historiques de Shakespeare, se clôt là ou commence le sanglant Richard III. «Henry VI dessine 50 ans d'histoire d'une nation qui se délite, qui dégénère, au point qu'à un moment est assis sur le trône un monstre», résume-t-il.

Seulement trois représentations de ce marathon sont données à Avignon, avant d'être découpées en plusieurs cycles en décembre à Sceaux dans la banlieue parisienne puis en mai au Théâtre de l'Odéon à Paris.