La pièce Hate Radio de l'auteur et metteur en scène suisse Milo Rau dissèque brillamment la mécanique implacable du génocide rwandais, de la cruauté quotidienne, de l'atrocité ordinaire. De l'incompréhension face à la tragédie qui existait alors, qui persiste aujourd'hui et qui continuera de se perpétuer, probablement, toujours.

En guise d'introduction, les spectateurs sont invités à mettre un casque d'écoute. Ils entendront d'abord des témoignages de survivants et d'une journaliste qui ont assisté au génocide il y a exactement 20 ans de cela. Ils décrivent avec précision les horreurs commises principalement par la majorité hutue contre la minorité tutsie.

Le rideau se lève sur les trois animateurs d'une radio de Kigali dont les propos paraîtront d'abord presque anodins par rapport au procès dont on vient d'entendre des extraits. Sous l'oeil complaisant d'un soldat et encouragés par un technicien, ils invitent d'abord les gens à se méfier de la «désinformation» et à se protéger devant les attaques de la rébellion tutsie.

Leurs propos paraissent contradictoires, si bien que le spectateur se demande un temps qui sont les bons et les méchants dans cette histoire. Mais peu à peu, le texte - construit à partir des vraies transcriptions radiophoniques d'époque - installe sa rhétorique de plus en plus haineuse, puis résolument guerrière.

Le ton des animateurs est bien souvent amusé, bon enfant, mais la logique commandant les exactions se faufile parmi les conversations avec un enfant auditeur, durant un quiz machiavélique et la lecture des informations qui n'ont plus rien d'objectif au royaume de la démagogie pure. Tout ce qui n'est pas hutu finit par passer à la moulinette de leurs paroles creuses mais cruelles, le boy-scout canadien Roméo Dallaire, le juif Bernard Kouchner, le cowboy Bill Clinton...

Installés dans un cube de verre, isolés du monde, ces deux hommes, dont un ressortissant belge surnommé le Hutu blanc, et une femme vont s'adonner à la chasse aux «cafards» que sont les Tutsis. Ils vont encourager leurs «chers auditeurs» à les tuer, et ce, en toutes lettres à la fin et dans la bouche de l'animatrice qui porte un t-shirt à l'effigie de Nelson Mandela! Entre deux chansons dansantes, ils vont japper ainsi comme des bêtes en cage pendant plus d'une heure.

Et Milo Rau nous retient à eux par ces écouteurs qui deviennent les appareils d'un voyeurisme morbide. Aucun ne réussit à détourner le regard, même s'il ne peut croire aux ignominies qu'il entend. Nous sommes piégés, ni plus ni moins que des auditeurs passifs devant l'incitation à la violence et au crime. Dans de pareilles circonstances lorsque l'humanité perd son nom, voire son sens, demande l'auteur, aurions-nous agi ou aurions-nous tout simplement fermé les yeux?

Rassurez-vous, tout va bien, nous répètent les animateurs de radio. Tout va très bien puisque Dieu est avec nous. Puis, le DJ va nous remettre Joe Dassin et son dernier slow...

Il y a eu un million de victimes au Rwanda.