Ainsi, Molly Bloom serait à la fois notre plus grand fantasme et notre pire cauchemar... Une femme libre, légère, délurée, insouciante, sans complexes. Mais une femme inconstante, perfide, séductrice, infidèle... On croirait avoir affaire à un homme!

C'est en tout cas la pensée qui nous traverse à l'écoute de ce monologue intérieur écrit par James Joyce pour son personnage de Molly Bloom, dans le dernier chapitre de son roman Ulysse, paru en 1922. Un texte parfaitement bien traduit par Jean-Marc Dalpé.

C'est le milieu de la nuit. Léopold Bloom est rentré tard. En allant se coucher, il a réveillé sa femme Molly, qui ne parvient plus à se rendormir. Elle s'engage ainsi dans un long monologue (le texte n'a aucune ponctuation) où elle saute du coq à l'âne.

Molly met d'abord en doute la fidélité de son mari qu'elle soupçonne d'avoir une liaison (même si elle s'en fiche pas mal), tout en évoquant ses propres aventures actuelles et passées. Son discours, anecdotique, va littéralement dans tous les sens.

Tout y passe. Des commentaires sur la performance de ses amants aux entretiens avec son confesseur, en passant par sa jeunesse à Gibraltar. Le tout entrecoupé de réflexions sur des préoccupations quotidiennes ou des irritants de la vie, comme ses menstruations.

La langue de Joyce est impudique et crue. Imaginez la réaction dans les années 20! On a l'impression que ces petites confidences d'oreiller sont pour nous...

Séductrice impénitente

Seule sur scène, Anne-Marie Cadieux donne vie à ce personnage fantastique. Sorte de Charles Bukowski au féminin. En moins vulgaire quand même. Avec ses airs d'ingénue cochonne, la comédienne parvient à livrer ce texte foisonnant avec justesse, même si ses modulations de voix sont parfois agaçantes.

La mise en scène de Brigitte Haentjens est d'abord et avant tout visuelle, même s'il y a, de toute évidence, un immense travail d'acteur.

Sur scène, une structure ondulée évoque des dunes de sable, desquelles se dégage une impression de liberté. Ça pourrait également être son île où, libre mais seule, elle se trouve captive. Enfin, les courbes de ces dunes rappellent le galbe des hanches entreprenantes de Molly Bloom.

Outre le texte de Joyce qu'elle maîtrise parfaitement, Anne-Marie Cadieux se livre à une gestuelle langoureuse qui permet de faire le portrait de cette séductrice impénitente qui a des envies tellement fortes qu'elle espère se faire prendre à tout moment, «peu importe par qui». Cela dit, la comédienne ne semble pas toujours à l'aise dans ses diverses postures...

Même si la prose de Joyce est accessible et savoureuse d'ironie et de détails intimes, la livraison sur scène de ce texte est quand même étourdissante. On aurait aimé le recevoir dans un lieu incongru ou intime, comme l'avait fait Brigitte Haentjens avec le solo de Sébastien Ricard dans La nuit juste avant les forêts de Koltès. Pour nous faire rougir un peu...

En tout cas, lors de la première mercredi soir dernier, Anne-Marie Cadieux a reçu une ovation. Et ce sont les hommes qui se sont levés en premier. Tirez vos propres conclusions.

À l'Espace GO jusqu'au 31 mai.