Vingt ans après avoir pris la relève de Robert Lepage dans Les aiguilles et l'opium, Marc Labrèche revisite la pièce avec son créateur, dès mardi, au Théâtre du Nouveau Monde. Une bonne occasion de revenir sur la riche, fructueuse et unique carrière du grand blond au sourire narquois.

Marc Labrèche manie avec brio l'art du second, voire du troisième et du quatrième degrés. Sur scène comme à l'écran, l'acteur repousse les limites de l'absurde. Il pourrait faire se tordre de rire même Gaétan Barrette! Or, le principal intéressé estime que, dans la vie, il n'est pas vraiment drôle...

«A priori, je ne suis pas de nature comique, a-t-il confié en entrevue mardi dernier dans un restaurant du Vieux-Montréal. Bien sûr, j'aime m'amuser et rire comme tout le monde. Mais je connais plein de gens beaucoup plus drôles que moi!»

C'est à force «de pratiquer son sport» qu'il a développé son sens de l'humour si particulier, croit-il. Un registre composé de fantaisie, d'esprit et d'abandon. «Disons que j'ai un code personnel quand je suis en public et un autre quand je suis à la maison avec ma blonde, mes enfants ou mes amis. Je ne déforme pas les choses du quotidien pour les rendre comiques ou absurdes.»

Si le journaliste devait exécuter un portrait-robot de l'homme assis devant lui, il commencerait par dessiner ses yeux. Bleus, vifs et pénétrants. Quand Marc Labrèche s'adresse à son interlocuteur, il le regarde droit dans les yeux. Avec une étincelle, un feu dans l'oeil, d'où transpercent à la fois la vivacité, l'intelligence et la créativité de l'homme.

Si Labrèche joue depuis un an aux quatre coins du monde dans une pièce de Robert Lepage, ce n'est pas faute de travail. Il voue au créateur de Québec une admiration sans bornes: «Robert a énormément d'instinct et de génie. Or, ce qui est merveilleux, c'est qu'il a la capacité de faire confiance à son instinct, à sa première impression. Il trouve d'abord, puis cherche ensuite.»

Pour Lepage, comme pour Labrèche, le doute est un moteur dans le processus de création. «Plus jeune, j'aurais pu suivre les traces de mon père [Gaétan Labrèche], alterner entre la télé le jour et le théâtre le soir. Mais j'ai plongé dans l'inconnu et fait des projets différents.»

Sans doute parce que lorsqu'il était adolescent, sa mère lui a donné un précieux conseil: «Entre deux chemins, choisis toujours celui qui te fait le plus peur.»

Culture et dépendances

Dans le cas de la nouvelle version des Aiguilles et l'opium, Labrèche a lui-même demandé au metteur en scène de reprendre son spectacle, créé en 1991: «J'avais beaucoup de tendresse pour ce show-là, dit-il. Et l'impression de n'avoir pas été totalement au bout de la démarche. Quand j'ai appris que Robert acceptait de revisiter sa pièce, j'ai sauté sur l'occasion.»

La pièce raconte la rupture d'un comédien québécois (l'alter ego de Robert Lepage) venu à Paris pour faire des voix dans un documentaire sur la visite de Miles Davis dans la capitale, en 1959. Le légendaire musicien avait fait la musique du film de Louis Malle, Ascenseur pour l'échafaud. On voit aussi Jean Cocteau à New York livrer ses impressions sur l'Amérique. Ces personnages d'époques et de cultures différentes ont une chose en commun: une dépendance. À l'opium, à l'héroïne, à l'amour...

Marc Labrèche a fait un véritable travail de création avec Robert Lepage, à la Caserne à Québec. En compagnie de nouveaux concepteurs, dont Carl Fillion à la scénographie, Jean-Sébastien Côté à l'environnement sonore et d'autres «whiz kids» qui étaient à peine nés à la création des Aiguilles, en 1991.

«Le corps du show a changé, mais son âme reste la même. Ce spectacle me bouleverse pour plusieurs raisons. Les écrits de Cocteau, la dépendance, la solitude...»

L'enfant triste

De son propre aveu, Marc Labrèche était un enfant triste, mélancolique. Pas malheureux, mais triste. «C'est de la faute à personne, dit-il. J'étais simplement de nature timide, solitaire, et enfant unique. Si j'avais à écrire une biographie, ma première phrase serait: «J'ai été mis au monde par des gens exceptionnels!» »

En premier lieu, sa mère, la journaliste Michèle Labrèche-Larouche; et son père, le comédien Gaétan Labrèche, mort en 1990. Du paternel, Marc a hérité, outre la ressemblance physique, la fantaisie et la curiosité pour autrui. Sans oublier une soif de culture et de connaissances.

«J'ai grandi dans un monde de variétés et de fantaisie, parmi des artistes d'émissions jeunesse, comme Pierre Thériault de La boîte à surprises; les directrices du Rideau Vert (Mercedes Palomino et Yvette Brind'Amour); les étudiants à qui mon père enseignait à l'École nationale de théâtre. Pour un enfant, rencontrer Mouffe et Robert Charlebois, ça a quelque chose de surréaliste!»

Dès lors, le jeune Marc comprend qu'il n'y a pas une façon de voir la vie, mais des tonnes! «Marc Labrèche aborde tout avec un angle, un prisme, une vision unique, singulière. Il pense en oblique», illustre le metteur en scène Pierre Bernard, qui l'a dirigé au théâtre.

Connais-toi d'abord...

«Connais-toi toi-même et tu connaîtras les dieux et l'univers.»

C'est de Socrate et ça date de 25 siècles. Encore aujourd'hui, cette maxime demeure extrêmement difficile à réaliser. Or, elle pourrait être la devise de Marc Labrèche. «Ce qui me rend le plus heureux, dit-il, c'est d'avoir trouvé mon ton, ma voix, ma manière d'exprimer les choses dans le travail. Comme je n'ai pas fait d'école de théâtre, je n'appartenais à aucune gang. Gaétan était mon unique modèle. Longtemps, j'ai eu l'impression de reproduire sa langue. J'ai commencé à être bien quand j'ai trouvé ma façon à moi de faire ce métier.»

On dit que l'acteur de 53 ans est secret, pudique, réservé, car il refuse d'étaler sa vie privée aux médias. Dans ses mots: « Je n'ouvre pas mon frigo pour montrer ce qu'il y a dedans!» Or, en entrevue, il n'esquive aucune question, même les plus délicates. Il répond toujours avec délicatesse et franchise.

Prenez la polémique suscitée, il y a quelques années, par son refus d'aller à la soirée des MetroStar (les Artis), où il était en nomination. À l'époque, pour justifier son absence, il avait avoué qu'il n'aimait pas les galas. «Quel mépris pour l'amour de son public!», se sont indignés les gérants d'estrade.

«Je n'ai jamais compris la loi qui dicte qu'une personnalité doit appartenir au public, explique le comédien. Moi, je n'appartiens pas au public. Comme le public ne me doit rien du tout. Au Québec, dans le milieu du showbiz, on cultive un étrange et faux rapport de proximité avec le public.»

Mais vous assistez aux galas depuis? «Oui. C'est plus simple d'y aller - quitte à souffrir pendant deux heures - que d'avoir à justifier mon absence durant deux mois. Désormais, si on m'invite, je me dis: «Marc, mets ton Dubuc pis ta cravate, et va t'amuser au gala!» »

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Au Théâtre du Nouveau Monde, du 6 au 31 mai. En supplémentaires du 3 au 18 juin.

Cinq visages de Marc Labrèche

Le jeune premier

En 1979, à 17 ans, Marc Labrèche donne la réplique à Yvette Brind'Amour dans la pièce Harold et Maude au Rideau Vert. «Durant une représentation, Mme Brind'Amour m'a donné un french!», confie l'acteur. Trois ans plus tard, il joue dans la comédie musicale Pied-de-Poule de Marc Drouin.

L'animateur

Il a d'abord fait ses chroniques déjantées à l'émission Beau et chaud (1988-1994) animée par Normand Brathwaite. Puis, durant trois saisons, Labrèche a animé La fin du monde est à 7 heures, l'émission phare de Télévision Quatre-Saisons. Ensuite, il sera à la barre du talk-show de fin de soirée à TVA, Le grand blond avec un show sournois.

L'homme de théâtre

Marc Labrèche a grandi dans les coulisses du Rideau Vert, s'initiant à Molière, Marivaux et d'autres classiques. Mais il ne dit pas non à des pièces plus modernes. Sous la direction de Pierre Bernard, il va jouer à deux reprises dans Variations sur un temps de David Ives. Il sera aussi dirigé par Denise Guilbault dans Cryptogramme. Il a été de la première création de Dominic Champagne, Import Export.

L'acteur comique

De Rénald de La petite vie à Étienne des Bobos, ses personnages loufoques figurent en haut de l'affiche. Au cours de sa fructueuse collaboration avec l'auteur Marc Brunet, avec entre autres Le coeur a ses raisons et 3600 secondes d'extase.

L'acteur «sérieux»

Dans L'âge des ténèbres, le réalisateur Denys Arcand lui confie un rôle dramatique dans un film d'auteur. Succès mitigé. Mais il a aussi joué aux côtés de son père, quelques mois avant sa mort, dans L'amour avec un grand A de Janette Bertrand. Un moment de grâce!

Photo: fournie par Télé-Québec

De Rénald de La petite vie à Étienne des Bobos (notre photo), ses personnages loufoques figurent en haut de l'affiche.