«J'avais besoin d'un lieu protecteur mais plein de vie»: Cristiana Morganti, danseuse de la troupe de Pina Bausch, a créé son dernier spectacle au Funaro, tout à la fois résidence d'artistes, centre culturel et théâtre, né au fin fond de la province toscane.

Cette soliste, qui danse depuis 20 ans avec le célèbre Tanztheater Wuppertal, termine à Pistoia un séjour d'un mois qu'elle a passé à écrire les textes et la chorégraphie de Jessica and Me, une performance pleine d'humour et poésie mixant danse et théâtre.

«Ici c'est comme un couvent, un endroit tranquille où tu es très encouragé sur le plan humain, mais vivant car il y a les cours de théâtre, plein d'enfants et de gens de tous âges qui passent», dit-elle à l'AFP, en montrant les bâtiments joliment restaurés où menuisiers et forgerons avaient jadis leurs ateliers.

L'écrivain français Daniel Pennac est venu à deux reprises en résidence (la dernière à l'automne dernier pour adapter au théâtre son conte L'oeil du loup) dans ce «lieu où faire des pauses». Il était tellement à l'aise dans cette atmosphère familiale qu'on l'a vu arriver un jour pieds nus à la cafétéria.

Cristiana qui a fait toute sa carrière à l'étranger est «fière» d'avoir trouvé un tel lieu en Italie où la culture fait figure de parent pauvre et où ses collègues danseurs contemporains «font souvent trois boulots à la fois pour s'en sortir».

Le Funaro et le théâtre de Reggio Emilia où aura lieu la Première de Jessica and Me en octobre coproduisent le spectacle qu'ils accompagneront en tournée italienne et peut-être internationale. «Cela montre qu'il y a de l'espoir, des petits pôles culturels qui fonctionnent tout en misant sur la qualité», estime la danseuse-chorégraphe.

Cristiana est interrompue par son petit garçon qui déboule de la cafétéria, point névralgique du Funaro, qui compte des appartements pour résidents, deux salles dont un théâtre de 100 places et un centre de documentation où sont conservées les archives d'Andres Neumann, organisateur d'évènements culturels et «parrain» du centre.

Le Funaro c'est ça: des allers et venues et rencontres entre artistes et leurs familles (12 personnes peuvent être accueillies en résidence), enseignants, spectateurs et les 350 élèves des ateliers théâtre et des laboratoires de cirque ou d'écriture.

«Amener le monde à Pistoia»

«Ha, Hi, Ho», une dizaine d'ados s'échauffent avant de réciter leurs rôles. Luisa Bardelli, 18 ans, fascinée par le théâtre, suit les cours de Francesca Giaconi, l'une des quatre fondatrices du Funaro.

«Ici j'aime l'ambiance, la façon d'enseigner, Francesca y met beaucoup de passion. Dans d'autres cours, on travaillait surtout la voix, c'était ennuyeux, ici on bosse l'improvisation et sur le corps», raconte-t-elle.

Francesca est avec Lisa Cantini la benjamine de la «bande des quatre» qui ont créé le Funaro en 2003 et l'ont installé dans ses murs actuels il y a cinq ans, avec l'aide du Français Jean Guy Lecat, longtemps scénographe attitré de Peter Brook aux Bouffes du Nord, et du dramaturge colombien Enrique Vargas, créateur du Théâtre des sens (basé à Barcelone et au Funaro).

En réalité, l'aventure a commencé avant, dans l'un des rares laboratoires de théâtre qu'offrait Pistoia. Francesca et Lisa, alors adolescentes, ont rencontré Antonella Carrara et Mirella Corso, déjà adultes, ainsi qu'Andres Neumann, qui les a encouragées à créer un lieu «incubateur de projets».

«Quand j'y repense, c'était une folie, Pistoia (90 000 habitants, ndlr) est une petite ville, il faut vraiment vouloir y venir. Dès le début, notre idée était d'amener le monde à Pistoia et de projeter Pistoia dans le monde. Et ce qui était un rêve, de grandeur peut-être, est vraiment en train de se produire», s'extasie Lisa.

Le Funaro a aussi contribué, selon elle, à réveiller Pistoia, «belle ville médiévale ignorée des circuits touristiques» qui a connu «un nouvel élan avec l'ouverture de boutiques et restaurants».

Seul point d'interrogation: l'avenir du Funaro car pour le moment, «les activités financent les activités» et les salaires d'une demi-douzaine de permanents, mais pas les résidences. Le budget «géré en bon père de famille, avec des prix très accessibles» n'est bouclé que grâce à Antonella, la présidente, qui a eu «la chance de toucher un bon héritage de sa famille d'industriels du papier».

L'ambition des fondatrices, qui préparent une nouvelle aile de résidences, serait «de voir le Funaro marcher seul sur ses deux jambes sans ce mécénat privé, peut-être avec un soutien des institutions, en reconnaissance du service public offert».

http://www.ilfunaro.org/