Le directeur artistique sortant du théâtre Espace libre, Philippe Ducros, nous présente dès la semaine prochaine le premier volet d'Eden Motel, adaptation de son premier roman du même nom, qui paraîtra l'an prochain aux éditions L'instant même.

Ce roman, Philippe Ducros l'a écrit au fil des nombreux voyages qu'il a faits dans les années 2000, notamment en République démocratique du Congo, dans les Territoires occupés palestiniens, en Inde et en Chine.

«Ce qui a déclenché la réflexion d'Eden Motel, c'est quand j'arrivais de l'extérieur et que je nous regardais, explique Philippe Ducros. Quand je reconnaissais tous les rouages de notre société, mais que je m'y étais déshabitué.»

Le roman, puis la pièce qu'il en a tiré aborde les différentes «pathologies» de nos sociétés occidentales.

«C'est une réflexion sur le bonheur, sur notre difficulté à être heureux, précise l'auteur et metteur en scène. On est censés vivre dans l'opulence, mais on a un des taux de suicide les plus élevés au monde. On est l'un des trois pays qui consomment le plus d'antidépresseurs. Je me questionne sur ce malaise.»

Eden Motel met en scène un homme («Moi»), qui a une dépendance aux narcotiques et qui échoue dans un motel au pire moment de sa vie. Il fera la rencontre d'autres éclopés de la vie, qui ont tous des pathologies propres aux sociétés occidentales, dont une jeune femme souffrant de boulimie sexuelle.

Ce qui nous tue

«C'est honteux d'être déprimé dans nos sociétés, insiste Philippe Ducros. Le bonheur est obligatoire. Non seulement il est obligatoire, mais, si tu n'es pas performant, si tu n'es pas aérodynamique, tant dans ta sexualité que dans ton travail et tes rapports sociaux, tu es un peu un «loser».»

Philippe Ducros, qui a témoigné de ce qu'il a vu en Afrique dans La porte du non-retour et en Territoires occupés palestiniens dans L'affiche, s'est posé la question: qu'est-ce qui, dans notre mode de vie, nous tue?

«La réponse est multiple, croit-il. Le capitalisme de nos rapports humains y est pour beaucoup. Un capitalisme de croissance, de conquête de marchés, de performances, qui est applicable à une sexualité de la performance et à des rapports humains de consommation.»

«Il y a quelque chose qui me trouble profondément,et qui me fait penser à ce qui se passe en République démocratique du Congo. Notre mode de vie nous tue, mais il y a des gens qui sont prêts à tuer et à mourir pour vivre ce mode de vie-là. Eden Motel évoque ce paradoxe.»

Cette dépendance aux narcotiques - notamment pour soigner les dépressions - sert bien sûr les compagnies pharmaceutiques, qui font des profits mirobolants. «C'en est troublant, estime Philippe Ducros. Entre 1975 et 2004, au Québec, le coût des médicaments a augmenté de 1267%.»

«Pipolisation»

Avec ses neuf interprètes, parmi lesquels Guillaume Cyr, Dominique Quesnel et Sasha Samar, Eden Motel est, de son propre aveu, l'un des projets les plus importants de Philippe Ducros (avec sa pièce L'affiche). Sébastien Dodge et Larissa Corriveau joueront également de la guitare et de l'accordéon.

Tous les personnages du motel sont en quelque sorte en réadaptation. «Ils sont dans un lieu hors du travail et de la performance, lieu de passage et sans attache. Tu ne peux pas performer dans un motel. Peu à peu, ils formeront une communauté et ça, c'est une des réponses à nos maux.»

«On aborde aussi la spectacularisation de la vie, poursuit Philippe Ducros. Dès le début, on est dans le showbiz, parce que ça fait partie du propos. Ça définit bien notre époque. La publicité, les informations et nos petits drames communs et individuels, on les «pipolise». Je questionne cela dans Eden Motel

Dans la deuxième partie d'Eden Motel, qui sera présentée l'année prochaine, on retrouvera les mêmes personnages. «Certaines histoires se terminent dans la première partie, d'autres non, conclut l'auteur. Certaines histoires commencent à la fin de la première partie et seront développées dans la deuxième.»

Ducros cède sa place

Philippe Ducros quittera la direction d'Espace libre à la fin de la saison. L'auteur et metteur en scène a occupé le poste de directeur artistique pendant quatre ans. Comme La Presse l'a déjà annoncé, il sera remplacé par Geoffrey Gaquère. «C'est moi qui ai décidé de partir, précise Philippe Ducros. Je veux bien sûr me consacrer à la création, à Eden Motel particulièrement. La porte du non-retour tourne un peu partout en Europe, L'affiche aussi. La gestion du théâtre ne me laissait pas beaucoup de temps pour porter mes projets d'artiste. Après quatre ans dans un théâtre, je crois que c'est bon qu'il y ait un renouvellement des mandats.»

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À Espace libre du 1er au 19 avril.