Voilà deux jeunes interprètes au seuil d'une carrière riche, prometteuse. Et pourtant. Mathieu Quesnel et Éric Robidoux revendiquent le droit au doute, au vertige, à la liberté. Rencontre avec deux acteurs très polyvalents qui posent un regard oblique sur le monde. Et sur leur métier.

On a rendez-vous avec Mathieu Quesnel et Éric Robidoux dans un café vachement hipster du Mile End. Pour faire écho au décor de la pièce The Aliens, qu'ils répètent depuis plusieurs semaines. L'oeuvre de l'auteure américaine Annie Baker, traduite par David Laurin sous le titre des Flâneurs célestes, prend l'affiche du Prospero mardi dans une mise en scène de Jean-Simon Traversy.

C'est l'histoire de Jasper (Quesnel) et KJ (Robidoux), deux marginaux de 30 ans qui écument les jours, dans l'arrière-cour du café d'une petite ville du Vermont. Les amis philosophent en buvant du thé aux champignons, en lisant Bukowski et en jouant de la guitare.

Deux ratés? Non, plutôt deux poètes qui voient plus haut que l'horizon, comme chantait Jean Ferrat. «Il y a plein de poésie et de mystère dans leur rapport, dit Mathieu Quesnel. Ils vivent leurs amitiés comme un dernier refuge, à l'abri de la violence des hommes. Jasper et KJ me font penser au couple de vagabonds d'En attendant Godot de Beckett.»

En effet. Les deux bums de Baker explorent les contradictions du monde, l'espace d'une pièce en deux actes, sans jamais changer de lieu. Ils tuent le temps en jouant avec la vie. Mais au lieu de contempler la lune, Jasper et KJ regardent le soleil en plissant les yeux, comme en souvenir d'une brûlure lointaine.

«Ils finiront par prendre sous leur aile un adolescent, Evan [Laurent Pitre] qui travaille au café, poursuit Robidoux. On devine, entre les silences et les non-dits, que ces deux hommes traînent une immense blessure. Ils sont brillants, mais incapables d'agir, d'aimer, de créer; leur inertie est le reflet de leur souffrance.»

Il y a du Beckett, du Tchekhov et aussi du Kerouac dans la pièce d'Annie Baker. L'auteur de Sur la route a écrit que «les seules gens intéressants sont les fous. Ceux qui sont fous de vivre, fous du verbe, fous d'être sauvés, et désireux de tout...»

Deux acteurs, une rencontre

Au début de la trentaine, les deux acteurs sont à une époque charnière de leur vie d'artiste, voire de leur vie tout court: celle des choix qui ont des répercussions sur l'avenir, la carrière, les proches et l'entourage.

«La pièce d'Annie Baker arrive à un bon moment pour moi», estime Mathieu Quesnel, qui dit se nourrir des doutes et des peurs de ses personnages. «Je ne veux pas changer parce que je fais du cinéma et de la télévision. Je suis entré au Conservatoire d'art dramatique pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le succès. Je veux toujours avoir la possibilité de faire des projets, comme Les flâneurs célestes, avec des amis dans une salle de 46 places!»

Les deux acteurs ne se connaissaient pas avant ce projet. Pourtant ils ont bien des choses en commun: la polyvalence, le charisme et leur côté sportif (ce sont deux fans de hockey). Ils ont marché 800 km sur le chemin de Compostelle, entre autres faits d'armes.

Mathieu Quesnel est le plus réaliste des deux. Il semble plus à l'aise avec les exigences du travail et du quotidien. Jeune papa de deux bambins, l'acteur vient de tenir deux rôles importants au cinéma pour les nouveaux films (attendus) de Denys Arcand et d'Émile Gaudreault. Il fait aussi partie de la troupe de comédiens de l'émission humoristique SNL Québec.

Éric Robidoux est le plus rêveur des deux. Natif de Lacolle, l'interprète affirme avoir canalisé sa violence et sa colère, plus jeune, en se réfugiant seul dans la forêt. Il est à la fois un gars de gang et un solitaire. Danseur athlétique, il a dansé dans toutes les pièces de la trilogie du chorégraphe Dave St-Pierre et tourné régulièrement avec lui en Europe depuis 2006. Au théâtre, on l'a vu jouer pour Christian Lapointe (Sepsis, Oxygène).

Acteur doté d'une forte puissance, il plonge dans le vertige de la création comme un athlète olympique. Il se donne entièrement à un créateur qu'il aime et qu'il respecte, mais il pourrait «tout laisser ça là demain matin».

Pour faire quoi? «Je travaillerais le bois, comme sculpteur, menuisier ou artisan. Mais idéalement, je ne ferais rien. Je deviendrais un contemplatif.»

Alors, pourquoi persister? «Je monte sur la scène, parce que j'aime la résonance des arts vivants. J'ai envie que mon jeu résonne. Pas juste pour mon ego, mais pour résonner avec tous les gens dans la salle. Mon but, c'est d'être au diapason du public, avec mes contemporains, dans une belle et fragile lumière commune.»

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À la Salle intime du Théâtre Prospero, du 25 mars au 12 avril.

Mathieu Quesnel: deux tournages, deux visions du métier

Mathieu Quesnel partage avec Stéphane Rousseau la vedette du prochain film d'Émile Gaudreault, Le vrai du faux (sortie le 9 juillet). Il s'agit d'une adaptation de la pièce Au champ de Mars de Pierre-Michel Tremblay. Quesnel y tenait le rôle d'un soldat de retour d'Afghanistan, qu'il a joué 55 fois au théâtre. «Je ne croyais pas que j'allais décrocher le rôle au cinéma. Je pensais qu'Émile me faisait auditionner par respect pour l'acteur qui avait créé le rôle au théâtre.»

L'acteur fait aussi partie de la distribution du nouveau film de Denys Arcand, qui sortira plus tard en 2014.

Comment a-t-il vécu ces deux tournages avec des réalisateurs chevronnés? «Émile fait énormément de prises et il donne énormément de notes. C'est un angoissé, un perfectionniste.

Il essaie plein d'affaires et fait de longues journées de tournage. Denys Arcand fait deux ou trois prises, pas plus. Il s'attarde davantage aux détails des plans, de l'éclairage, c'est une autre manière de réaliser. Il dit très peu de choses aux acteurs. Denys est comme une force tranquille. Je me trouve privilégié d'avoir travaillé avec eux.»

Éric Robidoux: de la scène au grand écran

Au cinéma en 2014, on verra l'interprète dans Love Project, film choral de Carole Laure, avec entre autres Benoît McGinnis, Pascale Bussières, Magalie Lépine-Blondeau, Céline Bonnier... Puis dans L'amour au temps de la guerre civile, le prochain long métrage de Rodrigue Jean, avec Alexandre Landry (Gabrielle).

Le danseur proposera un solo (avec des artistes invités), Topaze 95, au printemps 2015. C'est une création de son cru «qui défie la dramaturgie et repousse les limites de la scène et de la représentation». La saison prochaine, au théâtre, Robidoux jouera dans une création d'un metteur en scène connu autour d'Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams.