En pénétrant dans le hall du Théâtre d'Aujourd'hui, le public est accueilli par trois musiciens costumés comme dans une fanfare. Ce qui donne au lieu des airs de kermesse. La salle du théâtre est aussi transformée avec le décor de Richard Lacroix, qui représente une montagne de vêtements et d'articles usagés. L'effet est saisissant.

Cet immense amas d'objets représente le sous-sol de «l'Armée du Rachat», un centre de tri communautaire qui ramasse le vieux stock dont on ne veut plus pour le revendre à bon marché. Un jeune étudiant en philosophie, Saturnin, vient d'y être engagé comme trieur. C'est son tout premier emploi d'été. Lui qui se considère comme un intellectuel, «cette race honnie par toutes les jobs d'été», va littéralement apprendre sur le tas!

Car les collègues de Saturnin (Jean-François Pronovost) sont d'un autre milieu que le sien. Les trieuses sont des femmes désabusées (défendues par Marie Michaud, Geneviève Alarie et Catherine Ruel). Depuis des années, elles travaillent au salaire minimum pour l'organisme de bienfaisance. Elles se font exploiter par un patron véreux, Tony (Denis Bernard, méconnaissable!), un ex-danseur du 281, qui manipule et exploite ses employés. Il y a aussi l'ex-alcoolique en cure (Félix Beaulieu-Duchesneau). Finalement, un drôle de spécimen qui transporte les paniers d'objets triés par les autres (Patrice Bélanger). Tout le monde l'appelle Pénis, «parce qu'il travaille dur et qu'il aime les pogos»! Et il aurait voulu devenir trieur à la place de Saturnin...

Portrait de société

Pour écrire As is (Tel quel), Simon Boudreault s'est inspirée d'un emploi qu'il a eu à 18 ans, à l'Armée du salut. L'auteur et metteur en scène signe une pièce originale et efficace, à la fois comique et cruelle. En opposant deux mondes, Boudreault dresse un portrait de société assez décapant, merci. Un croisement entre l'univers des Belles-Soeurs de Tremblay et celui de l'Opéra de Quat'Sous de Brecht, avec un côté fêlé comme dans les pièces d'Oliver Choinière.

Sa microsociété met en lumière les revers de l'organisation du travail avec ses rapports de domination et de pouvoir; les affres du gaspillage et du consumérisme; et aussi, les inégalités entre les classes qui ne s'effacent pas aisément. Car, aussi naïf qu'érudit, Saturnin va finir par déstabiliser l'organisation du groupe avec ses bonnes intentions et sa grande culture.

Théâtre musical (il y a des chansons, et la musique est de Michel F. Côté), As is (Tel quel) affiche donc un côté politique sans verser dans le pamphlet.

Boudreault signe une mise en scène ingénieuse, efficace, ludique. La distribution est sans faille. Il y a bien quelques longueurs et redites dans le texte. Vers la fin, l'histoire tombe dans le sentimentalisme avec l'ex-putain junkie qui s'éprend de Saturnin. Mais rien de majeur.

On ressort de cette création tonifié. Comme si ses artisans avaient réussi à donner une âme aux objets inanimés. Et une voix aux laissés-pour-compte.

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Au Théâtre d'Aujourd'hui, jusqu'au 5 avril.