Il désigne sa pièce de «petite apocalypse», mais l'auteur et metteur en scène Denis Lavalou a vécu une petite fin du monde avec la mort subite, le 15 décembre dernier, de l'un des treize comédiens du Souffleur de verre, Denis Gravereaux.

Jusqu'à la veille de sa mort, Denis Gravereaux répétait avec ses camarades de scène Le souffleur de verre, un conte cruel qui visait à souligner les 20 ans du Théâtre Complice, fondé par Marie-Josée Gauthier, qui fait équipe avec Denis Lavalou depuis les débuts de la compagnie.

Il faut bien le dire, Henri Chassé, Jasmine Dubé, Marcel Pomerlo, Olivier Courtois, Marie-Josée Gauthier, Claude Lemieux, Janie Pelletier, Nico Lagarde, Léa-Marie Cantin et Vincent Magnat, qui forment cette importante distribution, ont été atterrés par la disparition du «patron», personnage que devait interpréter Gravereaux.

L'actuel directeur artistique du Théâtre Complice a bien pensé annuler la production, mais il a finalement décidé d'aller de l'avant et de dédier le spectacle à Gravereaux. Le comédien d'origine française a été remplacé par Bernard Meney, et Denis Lavalou a poursuivi son travail.

Au bout du monde

Dans Le souffleur de verre, Lavalou a imaginé un espace indéfini où se trouvent 12 êtres humains, derniers survivants de la planète à la suite d'une série de guerres et de cataclysmes. Nous sommes dans un village au bout de la terre, avec des personnages sans noms qui sont les derniers ressortissants de notre civilisation.

«En fait, c'est un vieux projet, raconte Denis Lavalou. Ça a commencé avec un concours de nouvelles du journal Voir, en 1998. La rédaction avait repris une phrase du roman Train d'enfer, de Trevor Ferguson, et invitait ses lecteurs à écrire la suite. Je n'ai jamais envoyé de nouvelle, mais j'ai beaucoup réfléchi à ça...»

Tout est donc parti de cette phrase : «Ils montaient vers le nord dans le noir de la nuit, et si l'on peut encore donner un sens au mot prière, je suis certain qu'au volant de sa vieille Dodge, Parker priait.» À partir de cet extrait, Lavalou a écrit sur une période d'une quinzaine d'années de courtes répliques qui ont mené à ce Souffleur.

«C'est une construction dramatique musicale, expliquetil. C'est un chant choral à 13 voix beaucoup plus qu'une pièce de théâtre. C'est l'histoire d'un dénommé Parker, dernier étranger à avoir été dans ce village avec son fils et son chien, avant de repartir. On ne sait pas pourquoi il est reparti, mais son départ cache quelque chose...»

Discussions

Deux questions alimentent les discussions des habitants : «Quand est-ce que Parker est parti du village et qui lui a parlé pour la dernière fois?», indique Denis Lavalou.

Un autre étranger fera son apparition dans cet espace intemporel. Son arrivée rouvrira la discussion sur le départ de Parker. À un moment donné, quelqu'un va rompre le silence et faire éclater la bulle. «Ils vont mourir parce qu'ils ne savent plus retenir», nous dit Denis Lavalou.

«On ne sait plus accueillir, on ne sait plus aimer, s'intéresser aux autres, dit-il encore. L'arrivée de ce nouvel étranger ébranle la communauté. Mais l'atavisme du rejet se met en route. Cette espèce d'instinct de peur de l'autre qui nous tuera tous si on n'est pas capables de s'entendre !»

C'est de ce manque d'altruisme dont voulait parler Denis Lavalou. «Ce fonctionnement par la peur [économique et raciale] est la pire des catastrophes, dit-il. Le décor évoquera ce délabrement des consciences, du coeur, des relations humaines et du langage, qui ne veut plus rien dire.»

Denis Lavalou ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec les réseaux sociaux. «Il y a des paroles, mais il n'y a pas de concrétisation de ces paroles. Il n'y a que des mots vides. Il n'y a pas de suite dans les idées. Il y a une épidémie d'opinions qui finissent par devenir des vérités... Il faut prendre conscience de tout cela.»

À l'Espace Libre, du 14 janvier au 1er février.