Après avoir exploré le thème de la vie parentale dans Enfantillages, le printemps dernier, l'auteur de La société des loisirs, François Archambault, aborde les thèmes de la mémoire et de l'oubli. Son personnage principal, Édouard, atteint de la maladie d'Alzheimer, sera interprété par Guy Nadon.

François Archambault avoue avoir écrit ce texte en pensant au comédien Guy Nadon.

«Ma blonde [la comédienne Marie-Hélène Thibault] avait joué avec lui dans Cyrano de Bergerac et j'avais trouvé l'interprétation de Guy fantastique. Comme mon personnage est un peu intello, qu'il parle beaucoup et que tout chez lui passe par la parole, je me disais qu'il serait parfait. Je l'entendais dire ce que j'écrivais.»

Le hasard a fait que le metteur en scène Fernand Rainville, qui fait un retour au théâtre après avoir passé les sept dernières années à travailler avec le Cirque du Soleil, (notamment sur Wintuk et Amaluna), a lui aussi pensé à Guy Nadon en lisant le texte de François Archambault.

«Guy était l'un de mes professeurs à l'École nationale de théâtre, en 1982, raconte Fernand Rainville. C'était un acteur en pleine ascension. Quand j'ai lu ce texte de François, qui fait de formidables portraits de société, j'ai pensé à Guy. On s'est donc entendus rapidement!»

Le principal intéressé, Guy Nadon, a tout de suite été interpellé par ce texte. «C'est une fable qui fait le récit d'un destin individuel, mais aussi d'un destin collectif. Il y a une corrélation entre les deux. Je suis convaincu qu'un bon acteur doit connaître la société de laquelle il provient et à laquelle il s'adresse.»

La petite histoire

Édouard (Guy Nadon), professeur d'histoire à l'université, souffre de la maladie d'Alzheimer. En fait, il est contraint à la retraite par sa maladie. Malgré son soutien indéfectible, sa femme Madeleine (Johanne-Marie Tremblay) n'en peut plus de s'occuper de lui.

Un jour, Madeleine le laisse donc chez sa fille Isabelle (Marie-Hélène Thibault). Mais celle-ci n'a pas le temps de s'en occuper... C'est finalement le conjoint d'Isabelle, Patrick (Claude Despins), en burnout, qui s'en occupera avec l'aide de sa fille Bérénice (Emmanuelle Lussier Martinez).

Qu'est-ce qui a motivé l'aîné des frères Archambault - ses frères Stéphane et Benoît sont les membres du groupe Mes aïeux - à créer un personnage souffrant d'alzheimer?

«Le père de Marie-Hélène [Thibault] est atteint de cette maladie, dit-il. Un soir, elle a soupé avec lui et ils ont passé une super belle soirée au restaurant, mais le lendemain, il ne se souvenait de rien... Cet épisode m'a fait beaucoup réfléchir sur la valeur du moment présent. Ça redéfinit en tout cas les liens qu'on a avec cette personne-là.»

L'auteur s'est donc servi de cette matière dramatique pour faire le récit d'un homme «qui lutte pour ne pas oublier, mais peut-être surtout pour ne pas tomber dans l'oubli». Tu te souviendras de moi traite exactement de cela. De l'obsession de la trace qu'on laisse derrière soi, à un moment où notre mémoire s'efface.

La grande histoire

Le coup est d'autant plus dur pour Édouard qu'il s'agit d'un ancien prof d'histoire. Un homme qui a une mémoire des dates et des événements. «La passion d'Édouard pour l'histoire reflète son amour de l'humanité», précise Guy Nadon. François Archambault, lui, n'a pu s'empêcher de faire un parallèle avec l'histoire politique du Québec.

On lui fait remarquer qu'il paraît un brin nostalgique en évoquant René Lévesque et le référendum de 1980 - il est question du rassemblement à l'aréna Paul-Sauvé. L'auteur en convient. Mais il affirme ne pas être d'accord avec tout ce que son personnage avance. «Édouard a l'impression qu'avec lui meurt une époque.»

«Il y a aussi un choc de générations entre la jeune Bérénice et lui», explique-t-il. Un personnage qui va marquer Édouard. Guy Nadon, de son côté, ne veut pas juger la plus jeune génération qu'il côtoie quotidiennement. A-t-il une page Facebook? «Je n'ai pas encore lu Faulkner au complet, je n'ai pas le temps!», répond-il en riant.

Le titre de la pièce, Tu te souviendras de moi, est inspiré de la chanson du même nom interprétée par Marc Gélinas en 1965. «C'est une chanson d'amour dans le style yé-yé, qui est assez triste en fait, mais qui dit exactement ce que je voulais à propos de mes personnages, indique François Archambault. On va l'entendre pendant la pièce.»

Nadon, l'artisan

Depuis près de 40 ans, Guy Nadon a interprété plusieurs grands rôles du théâtre de répertoire: Cyrano de Bergerac, d'Edmond Rostand, Richard III, de Shakespeare, Arnolphe dans L'école des femmes de Molière. Sans compter ses rôles dans des créations québécoises (Les beaux dimanches) comme à la télé (Aveux, O').

Pourtant, il a toujours été très humble devant son travail d'acteur. «J'ai l'attitude d'un cordonnier», dit-il simplement. «Il est tellement au service du texte, il est tellement méticuleux, il dit tout ce qui est écrit, c'est incroyable», ajoute François Archambault, dont c'est la première collaboration avec l'acteur de 61 ans.

«Les auteurs d'aujourd'hui ne peuvent plus écrire comme Molière ou Racine où les effets spéciaux étaient dans le langage, détaille Guy Nadon. On sait aujourd'hui que la tragédie passe aussi par le silence. On ne peut pas cabotiner dans l'écriture. La génération d'auteurs, comme François, écrit tout en masquant l'écriture. Mais tout y est.»

Comment a-t-il abordé le personnage d'Édouard? «Je me suis beaucoup renseigné sur la maladie, mais je me suis fié au texte. J'aborde mes rôles de création comme s'il s'agissait de rôles de répertoire et mes personnages de répertoire, comme Cyrano, comme si j'avais reçu le texte par Fedex, d'un jeune auteur appelé Edmond...»

Lui, il pense à la trace qu'il veut laisser? Comment voudrait-il qu'on se souvienne de lui? «Ça va se résumer à trois lignes. "Il était pas mal. Il a travaillé pendant 40, 50 ans." Peut-être qu'on évoquera mon rôle dans Cyrano, je ne sais pas. J'ai toujours pensé que sur ma pierre tombale, il fallait écrire: "Il n'y a rien de nouveau, il a toujours été dans le champ!"»

Du 14 janvier au 22 février à La Licorne.