Deux ans après la parution de son roman La concordance des temps, Evelyne de la Chenelière monte sur les planches pour défendre son personnage de Nicole. Un récit poétique à deux voix qu'elle interprétera avec James Hyndman, dans une mise en scène de Jérémie Niel.

La concordance des temps n'a pas été écrit pour la scène, précise d'emblée Evelyne de la Chenelière. «Au contraire, j'avais envie de m'offrir une parenthèse, une avenue parallèle à cette écriture dramaturgique qui est toujours faite dans un souci de déploiement dans le temps. Le roman en est épargné.»

Dès les premières pages, l'auteure pose la table d'une possible rupture amoureuse.

Une femme attend son amoureux dans un café avec l'intention de mettre fin à son idylle.

L'homme, qui est en retard au rendez-vous, hésite à s'y rendre, marche, réfléchit. La concordance des temps est aussi la concordance de ce couple.

«Ce sont deux personnages qui sont à la fois semblables et contraires, précise Evelyne de la Chenelière. J'étais intriguée de voir comment leur pensée se déploierait l'une en arrêt, l'autre en mouvement. Il y a une confusion par excès de fusion. C'est un jeu avec le lecteur, de ne pas toujours savoir qui dit quoi...»

Les deux personnages sont obsédés par la langue française et la grammaire. «Ils ont besoin de nommer les choses le plus justement possible. Pour avoir une emprise sur le réel. Ce sont des personnages qui sont à côté d'eux-mêmes et du monde. À la frange des choses. Incapables de participer réellement à la vie. À leur vie.»

Adaptation pour la scène

Jérémie Niel, que l'on connaît pour ses mises en scène épurées et ses économies de mots sur scène (Croire au mal, Cendres), a été interpellé par le texte d'Evelyne de la Chenelière. «Justement, le fait de partir d'un roman me permettait d'avoir une grande liberté dans l'adaptation», laissetil entendre.

«Il y a des thèmes que j'avais déjà abordés dans mes spectacles, comme celui de la relation à l'autre, ou encore, de la fusion des personnages, qui semble réaliste, mais qui devient spirituel. Et puis, il y a des thèmes comme ceux de l'enfance ou de la relation amoureuse que j'avais envie d'aborder.»

Le metteur en scène n'a conservé qu'environ le tiers du texte.

«Il a fallu trouver le sens pour la scène, dit-il. On est parti sur cette idée de deux personnages cherchant à nommer leur histoire, à la mettre en scène. Il y a eu beaucoup d'allers-retours avec les comédiens. La manière d'interpréter les personnages vient du roman, mais souvent sans les mots.»

«Qui sommes-nous réellement les uns pour les autres?», demande l'un des personnages. Voilà qui résume bien l'essentiel de La concordance des temps.

L'étrange intimité

«C'est vrai, nous dit l'auteure. Parfois, au coeur de l'intimité que l'on partage avec quelqu'un, apparaît la plus grande étrangeté, et tout à coup, un vertige d'être devant quelqu'un dont on ne sait rien. Ce vertige que l'on ressent quand on perd de vue le caractère familier des choses.»

«On a cherché les zones de tension, indique Jérémie Niel. Il y a plusieurs espaces sur scène, le café et une zone plus trouble, de friction, où les personnages se retrouvent. L'espace de leurs rêves, de leurs fantasmes ou de leurs souvenirs. Il y a une narration qui est installée, mais dont on se dégage facilement.

«Pour moi, le thème central du roman, c'est cette question des personnages, pour qui c'est un effort d'être au monde, qui sont en décalage, poursuit Jérémie Niel. Ce mal de vivre leur donne une difficulté à vivre au quotidien, mais qui leur donne une grande acuité du monde. Ils ont un regard parfois noir, mais aussi ironique.»

«J'ai toujours été intriguée et fascinée par l'aspect indiscutable de la marche du monde, dit Evelyne de la Chenelière. Les gens qui ne voient pas les choses comme étant indiscutables sont souvent des gens qui ont beaucoup de mal à vivre et qui se considèrent inaptes. On peut se demander si ce n'est pas le monde qui est mal adapté à eux.»

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À l'Usine C du 4 au 13 décembre.