Le metteur en scène Christian Lapointe a le don de mettre la main sur des textes à la fois difficiles et essentiels. Après avoir exploré le thème de l'absence avec Marguerite Duras l'été dernier (au FTA), voici qu'il se frotte à la poésie râpeuse de l'auteur russe Ivan Viripaev.

Malgré la constance des thèmes qu'il aborde dans son théâtre - la représentation et le jeu de l'acteur -, Christian Lapointe aime expérimenter de nouveaux langages dramaturgiques. Il cite entre autres le thriller Nature morte dans un fossé de l'Italien Fausto Paravidino, qu'il a monté il y a quatre ans. Selon lui, le Russe Ivan Viripaev, âgé de 39 ans, est de la même trempe.

«Comme Paravidino, Viripaev est quelqu'un qui attente à trouver, pour chacune de ses pièces, une forme dramaturgique qui n'est pas préformatée» nous dit-il.

La pièce Oxygène, créée il y a 10 ans dans la Sibérie natale de l'auteur, est écrite à la manière d'une chanson, avec des couplets et des refrains. «C'est comme un album de musique, mais avec des thèmes bibliques, précise Christian Lapointe. Sauf qu'aujourd'hui les commandements sont devenus des péchés et les péchés des commandements.»

«Tu ne tueras point», «Tu ne commettras pas l'adultère», «Sois charitable»; Ivan Viripaev fait chaque fois la preuve du contraire.

Réception de mariage

Concrètement, le spectateur se retrouvera à l'intérieur d'une immense tente blanche, dans ce qui pourrait être une réception de mariage. Sur scène, les deux personnages incarnés par Ève Pressault et Éric Robidoux se donneront la réplique en habit de mariage, sur fond de musique techno. Au départ, ils nous raconteront l'histoire de deux personnages appelés Sacha. Petit à petit, ils révéleront leur véritable identité en justaucorps.

«David Lynch a dit: «Les gens ne comprennent rien à leur vie, mais ils voudraient que les films soient limpides...» Comme lui, Viripaev se dédouane d'être intelligible, dit Christian Lapointe. Il s'adresse à notre incompréhension. On passe du mariage au rapport direct des acteurs à la performance. C'est un texte noir, mais avec beaucoup d'humour. C'est du stand-up. On peut boire et rigoler, même si le fond est monstrueux...»

Une quête de sens

En clair, le titre fait référence à notre manque d'oxygène et à l'échec de notre quête de sens. Que ce soit par la religion ou l'art. D'où le sentiment d'asphyxie qui envahit les personnages de la pièce. «En Russie, précise Christian Lapointe, on me dit que les salles sont pleines à craquer, parce que tout parle dans cette pièce de la difficulté d'exister. Les gens vont là comme ils vont au gym, pour se vidanger...»

«C'est un texte d'une richesse absolue, poursuit Christian Lapointe. C'est polysémique. L'auteur aborde notre quête de sens impossible à combler. En effet, qu'est-ce qu'il y a entre les réponses construites de la religion et la quête d'absolu artistique qui fait en sorte que des artistes sont prêts à piétiner leur vie pour faire ce métier-là? Quel est l'espace entre les deux? Viripaev pose la question d'un troisième espace inexistant.»

La pièce construite en 10 «compositions» aborde dans le désordre des thèmes contemporains: l'argent, le sexe, la démocratie. Il est même question du conflit israélo-palestinien. Dans le dernier tableau, qui résume bien tous les autres, l'auteur pose la question de ce qui est fondamental pour chacun. La guerre? Le ciel? L'honneur? «Il nous force à nous interroger sur la vie qu'on a choisie», dit le metteur en scène.

La gestuelle

«Ça fait cinq ans que je cherche à faire un spectacle où je peux créer un langage des signes, nous dit le metteur en scène en gesticulant. Un langage codé où, une fois les signes établis, on peut écrire par-dessus. À un moment donné, j'ai réalisé que c'était la pièce où j'allais pouvoir faire ça! Il y a une trentaine de gestes: l'argent le sexe, Dieu, les juifs, les arabes, l'oxygène, le manque d'oxygène, etc. Ce sont des codes qui nous permettent d'éclairer le texte.»

Après avoir reçu cette eau boueuse, on fait quoi? «La vraie question est celle de la mort, estime Christian Lapointe. On est vivants et l'art est là pour nous le rappeler. Mais tout dans la société tente de nous faire croire qu'on ne mourra pas. Le but est de sortir de la salle avec la sensation d'être encore plus vivant qu'avant. On comprend qu'on va mourir, mais on densifie sa vie. C'est ce que ça nous fait, l'art vivant.»

Du 19 novembre au 14 décembre au Théâtre Prospero.

EXTRAIT DE LA PIÈCE

Premier couplet 

«Lui. - Avez-vous entendu ce qui a été dit: «Tu ne commettras pas l'adultère»? Et: «Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà commis dans son coeur l'adultère»? Imaginez le coeur énorme qu'un gars doit avoir pour que toutes les femmes qu'y regarde avec convoitise puissent y loger! C'est pus un coeur, mais un grand lit queen dont les draps sont couverts de dèche. Pis vlà que Sacha, mon chum d'une petite ville de province désire dans son coeur Sacha, une jeune fille d'une grande ville, qu'y a vue au pied d'une statue d'écrivain, pendant qu'elle fumait de la mari avec des amis. 

- Refrain - 

Et si y'a été dit: «Ne regarde pas avec convoitise», ça veut dire ne convoite pas dans ton coeur. Et celui qui regarde une femme avec lubricité, celui-là a le coeur cadenassé. Et celui qui regarde une femme avec lubricité, c'est pas elle qu'il souhaite combler, mais lui-même qu'il souhaite vider.