Le personnage de Séraphin Poudrier est au centre de la dernière création du Nouveau Théâtre expérimental (NTE). Par un drôle de hasard, l'adaptation pour la scène du roman de Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché, coïncide avec la semaine de l'éducation sur le crédit...

«Si Séraphin Poudrier vivait aujourd'hui, il serait un courtier ou un trader», affirme Frédéric Dubois, qui a coécrit Viande à chien avec Alexis Martin et Jonathan Gagnon. C'est un personnage encore très actuel.»

Si le nom du personnage, créé par Claude-Henri Grignon en 1933, est depuis longtemps synonyme de cupidité, c'est que le légendaire maire de Sainte-Adèle s'est enrichi grâce à l'endettement de ses concitoyens. Ce même endettement qui a emballé les financiers de Wall Street et provoqué la crise financière de 2008.

Pas étonnant qu'Alexis Martin ait eu envie de revisiter ce conte, lui qui a traduit la pièce de Michael Mackenzie, Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël, qui met justement en scène un gérant de fonds spéculatifs immoral. Lui qui a aussi interprété, dans Tout ça m'assassine, un monologue de Pierre Lefebvre intitulé Confession d'un cassé.

«C'est un récit anticapitaliste», nous dit Frédéric Dubois, qui s'est également inspiré du livre Capitalisme et pulsion de mort de Gilles Dostaler et Bernard Maris. Un livre qui rappelle notamment les mises en garde de John Maynard Keynes contre les excès du capitalisme.

Le nouveau Séraphin

Le metteur en scène a recruté le comédien Sébastien Dodge, excellent dans les rôles de composition (Huis clos, Le moche), pour incarner le personnage de Séraphin. Un homme froid et calculateur dont le patois préféré est «viande à chien», une expression qui convient tout à fait à «ce que nous sommes dans le système actuel», estime Frédéric Dubois.

Sébastien Dodge partagera la scène avec Noémie O'Farrell (Donalda), Guillaume Baillargeon (Alexis Labranche), Louise Cardinal (Bertine) et Jonathan Gagnon (George Lamont).

Un tableau vivant

Dès les premières minutes de Viande à chien, les créateurs résumeront l'histoire de Séraphin et Donalda, morte prématurément faute d'avoir reçu les soins appropriés, son mari «craignant à la dépense».

On y retrouvera bien sûr le cousin de Séraphin, Alexis Labranche, amoureux de Donalda.

Comme dans le roman, le fantôme de la jeune femme hantera Séraphin jusqu'à sa propre mort, dans le feu qui brûlera sa maison.

«Il n'y aura pas de surprises ou de suspense, laisse savoir Frédéric Dubois. Tout est dit dès le départ et nous sommes restés fidèles à la trame du roman. Il faut plutôt voir cette pièce comme un tableau. Un tableau qu'on regarde attentivement et dans tous les détails pour comprendre la fable. Pour sentir, entre autres, l'étouffement de Donalda.»

Le personnage de Donalda est en effet central dans le récit. Parce que la belle mène une vie terne et malheureuse déterminée par les projets économiques de son mari. «Elle représente la force de la vie. La beauté aussi, qui échappe aux calculs de Séraphin, incapable de quoi que ce soit avec ce qui ne se marchandise pas...»

Le musicien et patenteur Pascal Robitaille, qui a travaillé avec Dubois dans Le roi se meurt, a imaginé une «cabane à musique» qui évoquera la pièce mystérieuse dont Grignon parle dans son roman. Une pièce qui contient en fait la fortune de Séraphin, et d'où sortiront des sons «cacophoniques et angoissants». Des sons censés traduire cette «maudite soif de l'or», précise le metteur en scène.

Adaptation

Les créateurs se sont bien sûr permis quelques libertés. Par exemple, la ville dirigée par Séraphin Poudrier s'appelle MontTremblay, clin d'oeil à la ville de MontTremblant, une ville «de plastique» et «sans âme», selon Frédéric Dubois. Aussi, le personnage de George Lamont, qui fait appel à Séraphin pour régler ses dettes de jeu, est le directeur du magazine Affaires d'En-Haut.

Plusieurs capsules ont été insérées dans le texte. Tels de courts extraits de bulletins télévisés, qui seront d'ailleurs projetés, interprétés par différents acteurs, notamment Alexis Martin et des «invités-surprises». Sur les tempêtes solaires, l'industrie funéraire, les travailleurs philippins, la nation amérindienne haïda, autant d'éléments qui dépeignent la «machine capitaliste».

La fin de Séraphin, au fond, est d'une tristesse absolue.

Dans l'une de ses apparitions, après sa mort, Donalda le quitte et lui dit: «J'ai compris trop tard que j'ai vécu misérablement dans ton jardin, ton royaume. J'ai même fini par plus comprendre le temps qui passait. Et la vie. Et le monde. J'ai même pensé que j'étais bonne à rien.»

Du 19 novembre au 7 décembre à l'Espace libre.