Pièce-choc, explosive, Oleanna est une oeuvre admirablement construite et constamment reprise depuis sa création en 1992. La pièce de David Mamet a été jouée à Broadway en 2009 (avec Bill Pullman et Julia Stiles) et aussi adaptée pour le grand écran par son auteur. Lorsqu'on apprend qu'une petite compagnie, le Théâtre du Vaisseau d'Or, en signe une modeste production au Prospero, on a donc immédiatement la curiosité d'aller y voir.

Or, le résultat est à la hauteur de nos attentes! Vincent Côté et Olivia Palacci sont les interprètes de ce huis clos de 85 minutes pour deux personnages, en plus de cosigner la mise en scène. Avec minutie et efficacité, les deux créateurs jettent un bel éclairage sur ce drame, qui fonctionne comme une terrible mécanique, sur le mystère de l'humain, son éternelle soif de pouvoir et de domination.

Oleanna raconte le conflit entre un professeur et son étudiante, avec en toile de fond la rectitude politique des campus, le harcèlement sexuel et la guerre des sexes. La pièce commence quand Carol, qui ne comprend rien au cours, débarque dans le bureau de son professeur, John. Carol lui demande de l'aider et de reprendre son examen qu'elle craint d'avoir raté. John l'écoute distraitement, plus préoccupé par l'achat d'une nouvelle maison (le téléphone sonne constamment et le professeur fait patienter l'étudiante afin de parler à sa femme ou à son agent immobilier).

Renversement des rôles

Acte 1. Lui est pédant, arrogant, cynique... Il remet en question la notion et la valeur même des études universitaires! Carol semble naïve, peu brillante et très complexée. Or, elle a la volonté de comprendre, de réussir. John dit «bien l'aimer». Il se rapproche d'elle, maladroitement, allant jusqu'à lui promettre de lui donner un A tout de go!

Acte 2. Les rôles sont renversés. Sans tomber dans les détails, disons que l'étudiante s'est vachement épanouie et qu'elle sait revendiquer ses droits. Alors que le prof s'enfonce dans sa bêtise, tel un animal traqué.

Le texte de Mamet décrit donc deux humains broyés par un système, sans pointer un coupable et un innocent. En même temps, sa pièce force le spectateur à se projeter dans ce huis clos, avec ses valeurs et ses préjugés; à choisir son camp, finalement, à prendre pour Carol ou pour John. D'ailleurs, en entrevue, Vincent Côté disait qu'Oleanna est «une machine manipulatrice». Et «qu'importe votre parti, vous aurez tort».

Le théâtre de David Mamet est un théâtre de points de suspension: la moitié des répliques de sa pièce commencent et se terminent par cette forme de ponctuation. Ce n'est pas seulement une structure ou une manière de donner un rythme à sa partition. C'est, à notre avis, le sens et le coeur de l'oeuvre.

Car les conflits se règlent rarement dans l'unanimité et la résolution: ils se concluent la plupart du temps dans le doute, l'interprétation et le sentiment d'incompréhension. Les conflits, comme le jour, sont toujours à recommencer. Et hélas, la vie est d'éternels points de suspension... jusqu'à la mort.

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Jusqu'au 26 octobre, au Théâtre Prospero.