Créée au Théâtre Centaur il y a deux ans (en anglais), voilà que la pièce Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël de Michael Mackenzie ouvre la saison du Théâtre d'Aujourd'hui. Une pièce inspirée de la débâcle financière de 2008, traduite par Alexis Martin, qui mettra en vedette Luc Picard et Sophie Desmarais. La Presse s'est entretenue avec son auteur.

Depuis près de 20 ans que Michael Mackenzie participe discrètement à la vie culturelle montréalaise. Cet Anglais débarqué au Québec dans la jeune vingtaine, a d'abord flirté avec le milieu universitaire, obtenant un doctorat en histoire et sociopolitique des sciences à l'Université de Montréal.

«Je frayais avec des professeurs de sciences politiques et d'économie, confie-t-il, j'ai écrit des livres, mais je me disais, ''c'est ça que je vais faire tout ma vie?''»

Au cours d'un séjour d'un an à l'Université de Princeton, où il est invité comme chargé de cours, il écrit sa première pièce, «Le précepteur», qui sera montée en 1994 par Jean Asselin. Une pièce qui a tourné pendant quatre ans. C'est là qu'il s'est fait remarquer par Robert Lepage, avec qui il a plus tard travaillé sur «Elsinore» et «Le dragon bleu».

«Quand j'ai décidé de faire du théâtre, j'ai décidé de déménager à Montréal. J'ai tout de suite aimé l'énergie, l'imagination et l'engagement des compagnies d'ici.»

Son travail avec Lepage l'a aussi amené à coscénariser «Le polygraphe». Depuis ce projet de film, Michael Mackenzie avoue avoir eu la piqûre du cinéma. Il a d'abord adapté sa pièce «La baronne et la truie» et réalisé le film «Adam's Wall» en 2008, qui racontait la relation amoureuse entre un Juif montréalais et une Libanaise de confession musulmane.

Il a même coscénarisé avec Robert Lepage la pièce «», du Cirque du Soleil, présentée depuis sept ans à Las Vegas.

DE LA FINANCE À LA SCÈNE

Aujourd'hui, Mackenzie partage son temps comme professeur de philosophie au cégep Vanier (il enseigne aussi à l'École nationale de théâtre) et comme dramaturge et réalisateur. Sa pièce «Instructions to any future socialist government wishing to abolish Christmas», il l'a écrite en 2007, devinant la débâcle financière de 2008, qui s'est produite au moment où il terminait l'écriture de sa pièce.

«De nombreux spécialistes de la finance savaient que le système allait exploser», nous dit-il. Ce que j'anticipais, est arrivé, mais ça n'a surpris personne.» Qu'est-ce qui était si prévisible?

«Il y avait une complexité de plus en plus grande des transactions financières de produits dérivés. Il y avait un besoin désespéré d'obtenir des rendements sur des prêts. Il y avait aussi des sommes phénoménales d'argent investies dans des produits hyper risqués. Comme ces fonds sur la production future d'artistes comme Damien Hirst...»

«Deux choses m'ont frappé, poursuit-il. L'arrogance des gérants de fonds spéculatifs vis-à-vis des employés des agences de réglementation (qu'ils n'hésitaient pas à intimider) et la complexité mathématique de l'évaluation des risques, que peut-être 200 personnes dans le monde pouvaient comprendre. Des gens qui étaient à la limite autistes.»

Ce sont justement les deux personnages de sa pièce mise en scène par Marc Beaupré («Caligula_Remix», «Dom Juan_Uncensored») : un gérant de fonds spéculatifs, Jason (interprété par Luc Picard), et une mathématicienne, Cass (Sophie Desmarais), à la limite autiste. Un huis clos qui se déroule en pleine nuit, à la veille de la crise financière de 2008.

Comment a-t-il fait pour créer une pièce à partir de ces personnages hyper réalistes? «Ça n'a pas été facile, admet le dramaturge. Je ne voulais pas diluer le contenu économique, mais j'avais bien sûr le souci de toucher les gens. Ça me fait penser à l'émission «ER». Il y a un jargon médical qui nous échappe parfois, mais ça ne nous empêche pas de ressentir des émotions...»

Mackenzie admet que le propos de sa pièce est complexe, mais il s'insurge justement contre la manipulation des financiers qui se drapent derrière un langage d'expert. «Il est temps que nous nous intéressions à ces affaires, à cette force économique qui nous dirige. Ma pièce est une façon bien humble d'éveiller les gens à cette réalité. C'est du théâtre engagé. »

Ce n'est pas pour rien qu'il s'est associé avec Alexis Martin, qui a traduit le texte. Pas pour rien non plus que Luc Picard a embarqué dans le projet. « Je veux montrer qu'il y avait des raisons à cette débâcle, qu'il y avait des causes spécifiques à cette crise. Je veux dire que ce n'était pas un accident. C'est comme les changements climatiques. Il y a des gens qui sont responsables de cette situation.»

Mais quel est le lien entre le titre de la pièce : «Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël» - qui nous fait penser au débat actuel sur la Charte - et la crise financière?

«Il y a beaucoup de pays communistes qui ont tenté d'abolir la fête de Noël, mais ils n'y sont pas parvenus. Mon hypothèse est que dans notre monde actuel peuplé de spéculateurs compétitifs sans pitié et sans merci, la fête de Noël est ce qu'il nous reste d'humain, ce qui nous lie en tant que communauté. S'il n'y a pas de véritable révolution, vous ne pouvez pas abolir cette fête, parce que les gens ont besoin de ça dans leur vie.»

> Au Théâtre d'Aujourd'hui du 8 octobre au 2 novembre.