Zone est l'une des pièces fondatrices du théâtre québécois. Or, c'est aussi une pièce qui accuse ses 60 ans. Surtout dans la version proposée au Théâtre Denise-Pelletier par le metteur en scène Jean Stéphane Roy. De cette pièce où de jeunes adultes tentent de s'affranchir de la classe ouvrière en s'adonnant à la contrebande, il tente de faire un film noir aux forts accents mélodramatiques.

L'idée se tient: la pièce de Marcel Dubé s'articule autour d'une enquête policière, d'une lutte de pouvoir au sein d'une bande de contrebandiers, et est traversée par une soif d'idéal teintée de romantisme adolescent. Elle est toutefois mise en oeuvre à travers des choix esthétiques qui ne parviennent pas à donner un vernis d'actualité à ce drame qui pourrait pourtant résonner encore très fort.

La scénographie évoque habilement le travail d'usine auquel sont confinées les classes populaires. Toutefois, les costumes et le ton général du spectacle le situent davantage dans le passé qu'à notre époque. Qu'avez-vous en tête lorsqu'on prononce le mot «gang de rue» en 2013? Imaginez-le un instant... et dites-vous que cette production-ci ne montre rien qui puisse s'en rapprocher.

Zone se prêterait pourtant bien à une relecture plus audacieuse. Quitte à jouer la carte du gangsta rap et du bling-bling, des codes plus contemporains, peut-être clichés, mais assurément plus chargés pour le public d'aujourd'hui. Ce manque d'audace sur le plan de la mise en scène se sent aussi dans le jeu des acteurs qui, le plus souvent, restent en surface de leur personnage. Moineau, l'idiot de la bande, a l'air d'un grand enfant caricatural. Passe-Partout, le traître, n'est pas plus subtil. Pour tout dire, ça frise parfois le ridicule.

Ce qui manque à ces interprétations, c'est le poids de la vie à laquelle ces jeunes adultes veulent échapper. Qui plus est dans un monde où les inégalités sociales s'accentuent. Ciboulette, aujourd'hui, serait peut-être en fugue d'un centre d'accueil. Elle aimerait sans doute secrètement son chef, mais pas aussi bêtement. Même assoiffée d'idéal, même pas encore contaminée par le cynisme des adultes, la jeunesse d'aujourd'hui n'est pas si naïve...

Le public adolescent d'aujourd'hui se reconnaîtra-t-il dans cette vision déconnectée du réel? Peut-être. Les applaudissements furent nourris à la fin de la représentation à laquelle on a assisté en compagnie d'élèves du secondaire. Or, la représentation a aussi été marquée par des éclats de rire et des manifestations d'ironie qui laissaient croire qu'ils n'étaient pas dupes de cette vision prude et somme toute gentille d'une jeunesse en rupture avec la société.

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Jusqu'au 29 octobre, au Théâtre Denise-Pelletier.