Par moments, ils font penser à Vladimir et à Estragon, ces deux inséparables personnages de Beckett, qui essaient constamment de dialoguer, car ils sont incapables de se taire. Mani et Manu, deux acteurs jouant leur propre rôle dans une pièce qui aborde une quête à la fois personnelle et collective. Et qui fait référence au débat identitaire actuel d'un Québec qui aimerait aussi dialoguer...

Après son bouleversant solo, Un, présenté en novembre dernier au Théâtre La Chapelle, Mani Soleymanlou remonte sur cette même scène pour offrir la suite, avec son ami, le comédien Emmanuel Schwartz. Récit sur la quête de soi, le vide identitaire, l'exil, l'immigration et le désir de «vivre ensemble», Deux reprend ces questionnements dans le même décor (six rangées de six chaises vides à travers lesquelles les acteurs se déplacent), mais sans la même charge émotive. Un était une prise de parole qui venait du coeur, du besoin d'amour et d'enracinement d'un apatride; Deux est un spectacle plus cérébral qui interroge et désamorce constamment son propos, qui s'éparpille aussi dans les dédales autobiographiques. «Je suis déraciné de mon propre discours», dira Mani en cours de route, alors que Manu adopte un autre point de vue par rapport aux questions identitaires.

Emmanuel ira même jusqu'à envier le vide identitaire de son ami immigrant, car ce sentiment lui permet de donner un sens à sa vie. Alors que lui...

Moi et l'autre

On ne s'étonne pas que le dialogue annoncé dérape. Les parcours de l'un et de l'autre sont aussi différents que l'identité peut être un concept à géométrie variable. Né en Iran, exilé à Paris, Mani a émigré au Canada avec ses parents, vécu à Toronto et à Ottawa, avant de s'établir à Montréal pour étudier et faire du théâtre. Emmanuel Schwartz, quant à lui, incarne le parfait Montréalais bilingue. Né à NDG d'un père juif anglophone et d'une mère catholique francophone, l'acteur dans la trentaine a toujours vécu «au coeur des fractures identitaires québécoises».

Il reste donc une impression d'«inachevé» à cette création... Ce qui explique sans doute pourquoi Mani Soleymanlou a annoncé qu'il va faire une autre suite, Trois, ouvrant cette fois la réflexion à l'ensemble de la société. «Avec Boucar Diouf», lance-t-il en riant. «Pourquoi pas avec un Québécois de souche, tel Luc Picard?», a suggéré la collègue Nathalie Petrowski, lors d'une discussion après la représentation de mercredi soir.

En attendant, l'image que l'on retient de Deux est la belle scène finale. Nos deux protagonistes sont assis face à face. Ils se parlent doucement, puis se fixent dans les yeux, dans un long silence, tandis que la trame sonore nous fait entendre des bruits assourdissants: tirs, explosions et autres pétarades.

Et Godot nous revient en tête. Lorsque Estragon dit à Vladimir: «Ne me touche pas! Ne me demande rien! Ne me dis rien! Reste avec moi!»

Alors, on croit à nouveau qu'il est possible de vivre ensemble, ici et maintenant, malgré le tumulte et la folie du monde.

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Jusqu'au 5 octobre, au Théâtre La Chapelle.