Plus connue ici pour ses romans que pour son théâtre, l'oeuvre de Joyce Carol Oates expose le côté sombre de l'Amérique. Après L'éclipse, l'an dernier, la directrice de La Veillée, Carmen Jolin, porte à la scène une seconde pièce de la prolifique auteure (plus de 70 ouvrages). Carmen Jolin a choisi une pièce écrite en 1980 et qui porte sur le thème de l'exploitation sexuelle et le trafic des jeunes femmes.

Shelley (Nora Guerch) se lève péniblement au milieu d'un vieux logis poussiéreux et délabré d'une ville du Midwest américain. Cheveux courts, silhouette frêle, visage angoissé, elle ressemble à une bête captive. Elle entame un monologue confus dans lequel il sera question de sa difficile existence, de son amour pour son bourreau (Peter V.), de son rapport complexe avec les hommes.

Puis, l'infâme et suffisant Peter V. (Frédéric Lavallée) entre en scène. Alors, on devine les racines de la souffrance de Shelley. Ce dernier a enlevé l'adolescente, en lui promettant monts et merveilles, pour finir par en faire son esclave. Il la marchande à des hommes violents et tordus. L'arrivée inopinée du père (Jean-François Blanchard) venu délivrer Shelley de sa prison n'y changera rien. Son passé est mort et enterré. Sa fille appartient désormais à Peter. De toute façon, elle n'existe plus...

Dans son mot au programme, Carmen Jolin souligne que, malgré sa brutalité, ce drame «questionne fortement les valeurs sur lesquelles se sont érigées nos sociétés contemporaines». Pardon?! L'exploitation sexuelle, la violence physique, l'intimidation, la traite des blanches... Des valeurs nord-américaines? Un peu de sérieux, SVP.

Avec pareille lecture, on ne s'étonne pas que tout, dans cette production, sonne faux. À commencer par le jeu des acteurs. Nora Guerch s'abandonne au registre tragico-intense, comme si elle avait fait un trop long stage chez Artaud ou Grotowski. La comédienne se tord, se frappe et se recroqueville constamment. Elle crie sa souffrance sur le même ton pénible du début à la fin. Résultat, le spectateur se désintéresse rapidement du personnage.

De passage à Montréal, au festival Métropolis Bleu en 2012, Joyce Carol Oates confiait que son oeuvre est traversée par l'humour noir, que c'est même un ressort littéraire. «Je crois que l'humour et l'ironie précisément sont partie intégrante de la littérature sérieuse. Dostoïevski, Kafka, Shakespeare, Faulkner...», a-t-elle dit.

Ici, dans le rôle de Peter V., Frédéric Lavallée a de la difficulté à faire passer l'ironie. Son jeu demeure en décalage par rapport aux autres interprètes.

Une production déprimante qu'on va vite oublier.

> Jusqu'au 11 octobre, au Théâtre Prospero.