Elektra, opéra furieux de Strauss mis en scène par le Français Patrice Chéreau est l'événement qu'attendait le festival lyrique d'Aix-en-Provence: la salle debout a ovationné mercredi soir la tragédie incandescente servie par des chanteurs et un orchestre au diapason.

Le récit, adapté de Sophocle par Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss (1909) est un long cri de vengeance: Électre ne vit plus que pour venger son père Agamemnon, assassiné par sa mère Clytemnestre, avec la complicité de son amant Égisthe, devenu son époux. Son frère Oreste, exilé dans l'enfance, reviendra accomplir la vengeance, tuant les deux amants.

La partition saisissante de Strauss va au-delà du romantisme de Wagner, jusqu'aux limites de la tonalité. Pas de «grands airs» ici, ou de mélodie harmonieuse, mais un cyclone de sonorités où le principal péril serait que la puissance de l'orchestre couvre les voix des chanteurs, ceux-ci se mettant alors à hurler de bout en bout.

Rien de tel dans cet Elektra, où l'Orchestre de Paris sous la baguette d'Esa-Pekka Salonen sait faire place aux nuances des chanteurs. Evelyn Herlitzius porte magnifiquement le terrifiant et douloureux personnage d'Électre. Une performance, alors qu'Électre occupe la scène pratiquement du début à la fin des 1h40 d'opéra.

Waltraud Meier, qui fut Isolde dans le Tristan et Isolde mis en scène par Patrice Chéreau en 2007, est une Clytemnestre toute en nuances, dont la peur du châtiment se lit dans la voix et le corps pantelant.

La toute première interprète du rôle (1909) Ernestine Schumann-Heink, avait décrété: «Je ne chanterai plus jamais ce rôle, nous étions une bande de folles... Rien ne va plus loin qu'Elektra

Loin de l'hystérie de certaines interprétations, la mise en scène de Patrice Chéreau rend à chaque personnage - surtout les femmes, véritables héroïnes de l'oeuvre - leur caractère propre. L'opposition entre les deux soeurs, surtout, est magnifiquement traitée: d'un côté Électre, dévorée par sa passion de vengeance, le corps efflanqué dans ses hardes trop grandes, de l'autre la tendre Chrysothemis (Adrianne Pieczonka), aux formes pleines, prête à vivre enfin «une vie de femme» et à s'échapper de cette prison.

Le décor de Richard Peduzzi, complice de Chéreau depuis 45 ans, avec ses grands murs ocre, est à la fois la cour de la ferme où Électre vit avec les chiens, la prison de ce huis clos familial et le palais.

Patrice Chéreau a choisi de ne pas faire mourir son «Électre»: dans l'opéra, la vengeance accomplie, elle part dans une transe qui la laisse morte. Ici, elle semble simplement vide, absente, comme privée de sa seule raison de vivre. On ne sait si elle est heureuse, ou dévastée.

Elektra est présenté jusqu'au 22 juillet à Aix-en-Provence avant d'aller à La Scala de Milan, au Metropolitan de New York, à Helsinki, Barcelone et Berlin.