Il a tourné dans 70 films et joué sur les planches aux quatre coins du monde. Or, c'est la première fois que John Malkovich monte sur une scène montréalaise. L'acteur de 59 ans vient incarner le plus célèbre amant d'Europe dans The Giacomo Variations. Entretien autour de cet éternel séducteur qui a bravé l'aristocratie et mené, à lui seul, sa propre révolution.

«Si le lecteur est curieux, je lui dirai tout à l'oreille», écrit Giacomo Casanova, dans la préface de ses mémoires, Histoire de ma vie (récemment édités dans La Pléiade). Or, au bout du fil, la voix qui ronronne à notre oreille (et en français svp!) est bien celle, basse et calme, de John Malkovich.

La Presse a joint l'acteur à Eilat, une station balnéaire dans le sud d'Israël, où il jouait le rôle d'un tueur en série érotomane dans The Infernal Comedy, l'un des deux spectacles de théâtre-opéra qu'il tourne depuis trois ans avec l'Orchestre de l'Académie de Vienne. L'autre étant The Giacomo Variations qu'il présentera les 4 et 5 juin à la Place des Arts, accompagné du chef Martin Haselböck et de 35 musiciens.

«On a une idée plus ou moins fausse de ce personnage légendaire, dit son célèbre interprète. Casanova est beaucoup plus qu'un séducteur et un libertin. Il est aussi philosophe, aventurier, libre-penseur et un très grand écrivain, un excellent chroniqueur des moeurs et des personnalités de son époque.

«J'ignore si tout ce qu'il a écrit est vrai... Mais il y a des phrases incroyablement jolies et des réflexions fort intéressantes dans son livre», poursuit l'acteur.

«Je veux une femme!!!» C'est par ce cri que Casanova, vieux, apparaît au lever du rideau. Le vieil homme court (littéralement) dans les jupes et les volants des robes qui forment le décor. Créées à Vienne, en 2010, par le metteur en scène Michael Sturminger, The Giacomo Variations exposent la vie et les aventures du Vénitien telles que rapportées dans ses mémoires. En y intégrant des scènes tirées de trois fameux opéras: Don Giovanni, Cosi fan tutte et Les noces de Figaro.

Bien sûr, Malkovich ne chante pas. Il joue avec une autre actrice les scènes théâtrales; un baryton et une soprano (leurs copies conformes) enchaînent avec les grandes arias du duo Mozart/Da Ponte. On a quand même droit à la fin à une chanson a cappella de Malkovich.

Revenir au théâtre

Avant de devenir l'acteur (et producteur) de cinéma mondialement connu, John Malkovich a entamé sa carrière sur les planches, à Chicago, avec le Steppenwolf Theatre, la troupe fondée par Gary Sinise (entre autres). À 59 ans, Malkovich se passionne toujours pour le théâtre, la création, l'artisanat de son métier. Il avance une analogie pour illustrer la différence entre le travail pour les planches et celui au cinéma: «Faire un film, c'est pousser un rocher au sommet d'une colline, faire une pièce, c'est s'accrocher à un train qui file»!

Francophile, il a travaillé sur quelques productions théâtrales à Paris. Il a même obtenu un prix Molière en 2008 pour sa mise en scène de la pièce Good Canary, au Théâtre Comedia.

À l'automne dernier, il a proposé une adaptation de la pièce Les Liaisons dangereuses (les lettres de Laclos sont devenues des textos et des courriels) au Théâtre de l'Atelier. Il a récolté des critiques élogieuses de la presse parisienne et le spectacle ira à New York en juillet prochain, au Lincoln Center.

Dans le programme, Malkovich a dédié sa production à «tous les jeunes comédiens qui passent par le processus laborieux des auditions». Cet exercice de séduction où beaucoup sont appelés... et peu sont élus.

Deux grands séducteurs

Fait-il un parallèle entre le vicomte de Valmont (cet autre grand séducteur qu'il a défendu au cinéma) et Casanova?

«Ils sont très différents, à mon avis. Valmont est un homme méchant, froid, calculateur. Il fait mal aux autres par désoeuvrement. Casanova n'est pas manipulateur. Au contraire, quand il dit aimer une femme, il est sincère. Sur le moment. Le problème, c'est qu'il l'oublie rapidement pour une autre.

«Au fond, Casanova a eu un grand amour de jeunesse, Henriette. Celle-ci l'a quitté avant qu'il ne le fasse. Toute sa vie, il va chercher à retomber amoureux encore et encore.»

- C'est donc par douleur que le chevalier vénitien ferme son coeur?

«Je ne crois pas que Casanova se ferme ou se cache, répond-il. Il réagit aux gens et aux événements de son siècle. Comme il est roturier, fils de parents comédiens, il se sait méprisé et se sent maltraité par l'aristocratie.

«Vous savez, au XVIIIe siècle, les gens de théâtre étaient traités comme des putes! C'était impossible d'être libre et respecté si on ne faisait pas partie de la noblesse. Son comportement était peut-être motivé par le désir de venger les siens.»

Finalement, Casanova a défié les moeurs, la société et le pouvoir de son époque pour savourer sa liberté. Mais était-il vraiment libre?

«Je ne crois pas que, hier comme aujourd'hui, ce soit possible d'être totalement libre, conclut Malkovich. Parce que nous sommes toujours face à nous-mêmes.»

Les 4 et 5 juin, 20h, à la salle Wilfrid-Pelletier de la PdA.

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John Malkovitch en 10 films:


Acteur prolifique et polyvalent, présent sur la scène, à la télévision et au cinéma, le comédien né dans l'Illinois en 1959 a participé à plus de 70 films et téléséries.

Voici 10 longs métrages le mettant en vedettes qui nous ont marqués:

1. Mort d'un commis voyageur de Volker Schlöndorff (1985)

2. L'empire du soleil de Steven Spielberg (1987)

3. Les liaisons dangereuses de Stephen Frears (1988)

4. Des souris et des hommes de Gary Sinise (1992)

5. Dans la ligne de mire de Wolfgan Petersen (nomination pour un Oscar en 1993)

6. Par-delà les nuages de Michelangelo Antonioni (1995)

7. Being John Malkovich de Spike Jonze (1999)

8-9. Le temps retrouvé et Les âmes fortes de Raoul Ruiz (1999 et 2001)

10. Burn After Reading de Joel et Ethan Cohen (2008)

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Les visages de Casanova:

Au fil du temps, Casanova a pris plusieurs visages à l'écran. Voici quelques figures emblématiques:

1946: Georges Guétary dans Les aventures de Casanova de Jean Boyer

1965: Marcello Mastroianni dans Casanova 70 de Mario Monicelli

1969: Leonard Whiting dans Casanova, un adolescent à Venise de Luigi Comencini

1976: Donald Sutherland dans Le Casanova de Fellini de Federico Fellini

1982: Marcello Mastroianni dans La nuit de Varennes d'Ettore Scola

1992: Alain Delon dans Le retour de Casanova d'Édouard Niermans

2005: David Tenant (jeune) et Peter O'Toole (vieux Casanova) dans la télésérie Casanova de la BBC

2005: Heath Ledger dans Casanova de Lasse Hallström