Avec Rituel pour une métamorphose, du Syrien Saadallah Wannous, la Comédie-Française aborde, pour sa première incursion véritable dans la littérature arabe, un texte subversif, conte oriental à la stupéfiante modernité.

Des «métamorphoses», il en est question tout au long de cette pièce, créée au théâtre du Gymnase à Marseille dans le cadre de la capitale européenne de la culture 2013.

Métamorphose d'une épouse de la haute société en courtisane, transformation d'un notable en clochard mystique, passion amoureuse d'un homme pour un autre... Le texte de Wannous, écrit en 1994, aborde les thèmes les plus brûlants: rapport au pouvoir, prégnance de l'autorité religieuse, émancipation féminine...

L'histoire se déroule dans un Damas des années 1860, avec à sa tête un mufti lancé dans une machination pour asseoir son pouvoir.

Mais c'est une femme exprimant sa soif de liberté et son désir sexuel qui viendra mettre au pas cette toute-puissance masculine, brisant tous les interdits. Une femme fine qui sondera l'âme du mufti et finira par le perdre à lui-même.

«Je veux rompre ces grossières cordes qui paralysent mon corps, cordes tressées dans la peur, la pudeur, la chasteté et les tabous, cordes faites de sermons», dit Mou'mina, devenue Almâssa la prostituée, au mufti. «Je veux libérer mon corps, atteindre mon moi».

Onze comédiens magnifiques portent ce drame puissant, allégé par quelques ressorts de comédie. Les mots sont précis, souvent tranchants, crus parfois.

Sur scène, de hauts murs, comme une prison, occupent le plateau pendant les deux tiers de la pièce, jusqu'à ce qu'ils se fêlent et cèdent, incarnation du chaos généré dans la ville par Mou'mina.

Déclinés dans un camaïeu de gris, les turbans et autres sarouals se font quasiment oublier. Une volonté du metteur en scène, le Koweïtien Sulayman Al-Bassam, qui en rejetant tout orientalisme a voulu garder à la pièce sa dimension universelle, contemporaine, «urgente», explique-t-il.

Le sujet est tel qu'en Syrie comme en Égypte, la pièce n'a pu être jouée longtemps, relève le metteur en scène et auteur de 41 ans. «Elle n'est pas censurée au sens propre mais c'est une pièce qui remet en question les fondamentaux religieux», avec la métamorphose du mufti.

«La pièce est empreinte d'atmosphère religieuse et en même temps, elle est critique. Je crois que c'est une tentative de pièce laïque dans un monde musulman», dit Denis Podalydès.

Sulayman Al-Bassam voit en Wannous «un mentor», dans ses réflexions sur les rapports entre théâtre et société.

Très lu dans le monde arabe, fondateur du festival de théâtre de Damas, Wannous est décédé d'un cancer à 56 ans en 1997. Le dramaturge, qui étudia le journalisme au Caire puis le théâtre à Paris, a laissé des oeuvres très engagées en faveur de la liberté.

Pour le metteur en scène, la pièce fait nettement écho, 20 ans après, à une «Syrie aujourd'hui en flammes, réclamant un espace émancipateur».

«Wannous est un auteur fondamental dans le monde arabe, qui utilise sa plume comme résistance à l'oppression avec le talent des grands hommes de théâtre», souligne Muriel Mayette, l'administratrice générale de la Comédie-Française, dans une note sur ce tout premier texte de langue arabe, traduit en français, à entrer au répertoire.

C'est «un texte engagé, à la fois classique dans sa construction et subversif comme savait l'être Molière en son temps (...) Il est grand temps de nous pencher vers la littérature dramaturgique arabe,» ajoute-t-elle.

Après un mois de répétition à Marseille et une première série de représentations, la troupe rejoindra le 18 mai Paris pour y présenter Rituel pour une métamorphose jusqu'au 11 juillet.