Yukonstyle, nouvelle pièce de Sarah Berthiaume, est la création la plus attendue de ce printemps théâtral. Un récit en forme de quête d'espace et d'absolu, où la langue est riche et vaste. Comme la vie.

À 29 ans, Sarah Berthiaume vit actuellement une chose rarissime chez les dramaturges québécois, toutes générations confondues: elle assiste à la naissance de sa toute nouvelle pièce dans plusieurs langues et productions (presque) simultanément. En effet, Yukonstyle est à l'affiche ce mois-ci à la fois au Théâtre de la Colline, à Paris (avec une distribution belge et française), et au Théâtre d'Aujourd'hui, à Montréal, dans une mise en scène de Martin Faucher, avec Sophie Desmarais, Vincent Fafard, Cynthia Wu-Maheux et Gérald Gagnon.

Yukonstyle sera ensuite présentée en Suisse, en Belgique, en Autriche, en Allemagne et, en septembre prochain, au Canadian Stage à Toronto, équivalent du TNM dans la Ville reine!

Déjà, des échos de la critique parisienne sont très favorables. «Sarah Berthiaume fait une entrée remarquée parmi les auteurs contemporains, avec cette pièce à la langue inventive et ciselée, à la construction dramaturgique complexe et passionnante, aux analyses psychologiques profondes et captivantes.» (La Terrasse) «Alternants dialogues populaires et monologues d'une poésie saisissante, le très beau texte de Sarah Berthiaume parle avec intimité et conviction de la quête de soi.» (Toute la culture.com)

«Je suis ravie du spectacle créé par Célie Pauthe: c'est une proposition très juste, très sombre et très belle», nous confie l'auteure jointe à Paris, au lendemain du congé pascal.

Temps et lieux

«Avec le recul, je me rends compte que, dans ma démarche d'écriture, je pars toujours d'un lieu: un bar de danseuses sur le bord de l'autoroute, une ville morte [Pompéi] ou abandonnée [Gagnonville sur la Côte-Nord], le quartier DIX30, le restaurant Madrid. J'aime les lieux décrépits qui cachent des histoires, des fantômes...»

Et là, Sarah Berthiaume nous présente quatre solitudes qui se rencontrent dans le Grand Nord canadien et ses grands espaces qu'elle a parcourus en 2008.

«Je me suis rendue au Yukon à la suite d'une rupture amoureuse, après avoir traversé le Canada [Montréal-Whitehorse sans escale!] en autocar Greyhound.»

Le Yukon de Sarah Berthiaume est celui de «la poésie de nos corps et de nos esprits dégénérés en manque de paix et d'élévation. [...] Le passé traverse le présent et trouve son avenir», écrit le metteur en scène Martin Faucher.

«En effet, avec Yukonstyle, il y a une jonction entre tous ces temps-là, ajoute Berthiaume. L'héritage ancestral du Yukon vient nourrir les autres protagonistes en fuite, ou en quête de quelque chose. C'est aussi une pièce sur le deuil, la survie, la marginalité et la soif d'espérance.»

La ruée vers l'or

«J'ai imaginé mes personnages comme des chercheurs d'or modernes, poursuit-elle. Lors de ce voyage, j'ai visité Dawson City, au Yukon, sur la piste de la ruée vers l'or. Dawson City s'est développée tellement vite: en un an, la population est passée de 4000 à 90 000 habitants! Les gens laissaient tout derrière eux, vendaient leurs biens pour s'équiper et partir à la recherche d'or au Yukon. Or, quand ils sont arrivés à Dawson City, il n'y avait plus d'or... Pour moi, cette quête folle représente bien les personnages de Yukonstyle.»

Parmi eux, il y a la jeune et excentrique Kate qui, comme l'auteure, a traversé le pays en autocar. «C'est une révoltée qui ignore la raison de sa révolte, explique Berthiaume. C'est un personnage en quête d'intensité et d'absolu, comme bien des êtres humains, mais qu'elle canalise dans des trucs morbides, glauques, sans en être consciente.»

Il y a aussi Yuko, Japonaise exilée à Whitehorse. Son colocataire, Garin, métis, fils de Dad's, vieil alcoolique plus sage qu'on croirait. Sans oublier le fantôme de Goldie, ex-prostituée autochtone disparue à la fin des années 80 à Vancouver, lorsqu'un certain tueur en série (Robert Pickton) sévissait.

La dramaturge, qui a assisté à plusieurs étapes de la production montréalaise, dit trouver «très intéressantes les différences et les similitudes entre les deux visions des metteurs en scène»: «Certaines scènes s'opposent radicalement alors que d'autres sont presque identiques, parfois sans qu'aucune didascalie indique le chemin à suivre.»

Elle craignait la réaction des Français devant le mur de la langue, qu'ils lui disent: «Ah! C'est très beau... mais on ne comprend pas.»

Or, ils lui ont plutôt parlé de solidarité, de survie, de quête de soi. «La pièce semble toucher autant les Européens que les Nord-Américains.»

Voilà qui nous en dit beaucoup sur l'universalité de l'_uvre de cette jeune femme qui, avec cinq pièces au compteur, fait désormais partie de la liste des dramaturges québécois qui rayonnent dans le monde.

Au Théâtre d'Aujourd'hui, du 9 avril au 4 mai.