Le théâtre de Serge Boucher nous transforme en impitoyables voyeurs. Le quatrième mur, cette cloison imaginaire entre la salle et la scène, devient une vitre sans tain, comme celle dans les postes de police ou les groupes de discussion. À travers cette vitre, le public observe des acteurs jouant des personnages qui leur sont aussi familiers qu'éloignés, proches que fuyants. Car chez Boucher, la vie est fragile, grise... et toujours suspecte.

Cette notion de voyeurisme s'applique particulièrement dans Avec Norm, sa pièce créée en 2004 (par René Richard Cyr) au Théâtre d'Aujourd'hui, qui est reprise actuellement au Rideau Vert sous la direction de Robert Bellefeuille. Encore plus que pour 24 poses ou Motel Hélène, parce qu'il y est question d'un handicapé mental qui vit dans un milieu pauvre, violent et marginal. Et non de la classe moyenne.

Serge Boucher dépeint cet univers dans ses moindres détails, avec une langue efficace, un souci de vérité, et ce -de là son génie -, sans jamais tomber dans le misérabilisme. Comme chez les naturalistes du XIXe siècle, l'auteur tisse une oeuvre avec le recul d'un scientifique qui étudie sa propre espèce, sachant qu'il y a plus de mérite à observer qu'à juger ses semblables.

Normand vit de l'aide sociale dans un étroit logis du quartier Hochelaga avec sa soeur manipulatrice, Nancy, une ex-danseuse qui tente de finir sa 5e secondaire. Il est ami avec sa voisine Tony, une veuve handicapée qui reçoit «le gros chèque de B. S.». Il admire un dénommé Batman, un gars louche qu'on ne voit jamais, mais dont il est souvent question. Son «parrain» François le visite à l'occasion et tente de le protéger en l'aidant à mieux gérer son quotidien.

Voilà pour la toile de fond. La forme est une série de «tableaux» entrecoupés de noirs qui agissent comme des instantanés, des polaroids de courtes scènes de vie pauvre, banale et misérable. La mise en scène épouse ce canevas dans sa vraisemblance. Le décor de l'appartement est encombré de meubles et d'accessoires cheap. Normand a les cheveux gras, des lunettes épaisses, des vêtements sales. C'est même en odorama par moments: on peut sentir l'odeur de graisse de bacon, de tabac ou de Lysol jusqu'au parterre!

Dans la distribution, Éric Bernier joue correctement le rôle en retrait de François; Sandrine Bisson est d'une grande efficacité en Nancy; et Benoît McGinnis reprend le rôle énorme de Normand (qu'il avait créé) avec un talent inné, un investissement total et un souci du détail dans chaque geste. Or, la belle surprise de cette production, c'est la composition de Muriel Dutil. La comédienne a fait de Tony un personnage touchant, humain, voire grandiose, malgré sa pauvreté et sa vulgarité incommensurables. Chapeau, Mme Dutil!

> Au Théâtre du Rideau Vert jusqu'au 13 avril.