Il y a quelque chose de pourri au royaume des Adultes!, scande la prose de Réjean Ducharme. Pas surprenant que son oeuvre fascine les éternels enfants.

En 1989, Martin Faucher, un jeune metteur en scène bourré de talent, diplômé en théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe, créait à l'Espace Go À quelle heure on meurt?; spectacle mémorable conçu à partir d'un collage de morceaux choisis parmi divers textes et romans de Ducharme. Vingt-quatre ans plus tard, un groupe de comédiens provenant de ce même collège (promotion 2011) reprend à la salle Fred-Barry cette ode à l'enfance perdue.

Et ma foi!, c'est un fort bel ouvrage livré sous la direction de Frédéric Dubois.

On le nomme «variation» autour du collage de Faucher. Ils sont désormais dix acteurs pour jouer en alternance Mille Milles et Chateaugué, les deux adolescents du roman Le Nez qui voque. On a ajouté des chansons comme Intuition d'Avec pas d'casque; Va-t'en pas de Richard Desjardins («J'ai autant d'amis que mille Mexico!» pourrait sortir de la bouche de Chateaugué...). Toutefois, la proposition demeure semblable: une fenêtre pour pénétrer l'univers de Ducharme, et aussi pour sentir le désenchantement lié à l'apprentissage du monde adulte.

L'argument est le suivant. Enfermés dans un appartement montréalais, un gars et une fille, pas vieux, mais «déjà las de vivre», font un pacte de suicide. Est-ce un couple? Des amis? Un frère et une soeur? Ça n'a guère d'importance. Ils ont 14 et 16 ans et refusent de vieillir. Et pourtant, ils vivent pleinement! À lire de la poésie, à écouter de la musique, à s'enivrer de bière et de tendresse, à avoir du «phone» tout en vaguant à leurs activités quotidiennes. Comme la plupart des couples, en somme.

Mais il y a une fêlure à leur bonheur: Mille Milles et Chateaugué veulent réinventer le monde, sur des bases nouvelles, pures. Et sans compromis. Comme Émile Nelligan que les protagonistes citent avec des vers de La Romance du vin, ils sont gais et pourtant «ils marchent à tâtons dans (leur) jeunesse noire».

Ces jeunes interprètes travaillent depuis plus de deux ans à ce spectacle. Et ça se voit! Leur passion est contagieuse. Le jeu déborde de cette urgence de s'exprimer sur scène. Certes, la production est un peu chargée d'images, de musique, d'intentions, de tableaux... On aurait pu élaguer ici et là. Or, cette proposition nous touche justement par ce trop-plein d'expression scénique. Car il rejoint la soif d'absolu des personnages ducharmiens.

Qui plus est, il y a dans la distribution de solides pointures. De jeunes acteurs et actrices qui nous prouvent que l'avenir du théâtre québécois n'est pas aussi noir que l'univers de Réjean Ducharme.

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À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, à 19 h 30, jusqu'au 30 mars.