Bien sûr, l'internet et les médias sociaux n'ont pas inventé le narcissisme, aussi vieux que le mythe antique. Néanmoins, il est clair qu'ils le nourrissent à la puissance mille! Désormais, l'image de soi fait partie du domaine public. L'intimité, un objet qu'on partage avec la planète entière. Et la certitude d'être vu, reconnu et «aimé» demeure à la portée d'un clic.

Avec sa nouvelle pièce, Cinq visages pour Camille Brunelle, Guillaume Corbeil fait un constat très sombre - et franchement angoissant - de l'évolution de l'Humanité 2.0. À travers cinq personnages représentatifs de la génération Y, il dépeint l'utilisation excessive de sites comme Facebook dans le but de s'exposer et de se donner en spectacle perpétuel.

Je, me, moi...

Sans crier gare, cinq comédiens nous accueillent à l'avant-scène en se décrivant comme dans une fiche sur un réseau de rencontres.

Les répliques des personnages (célibataires, beaux, cultivés) commencent toujours par je ou moi. Elles consistent, en première partie, en une accumulation d'informations personnelles sur sa culture, ses voyages, ses soirées, ses vernissages, ses goûts alimentaires ou vestimentaires.

L'auteur, lui-même très érudit, inclut sa caste dans cette glorification de soi. Au bout du compte, tous les livres, les pièces ou les films qu'on a vus ne servent-ils qu'à se définir dans la masse; qu'à nourrir notre ego? Repensez à certains de vos soupers entre amis cultivés... Vous aurez la réponse.

Puis, au bout de 50 minutes, il y a un revirement. TOUS les protagonistes connaissent une descente en enfer. Autodestruction, luxure, délinquance, meurtre... C'est un peu brusque! Or, le drame final - alors que le texte passe pour la première fois du «je» au «vous» - explique en partie ce virage brutal.

Pas seulement sur Facebook

Cette proposition théâtrale est troublante, percutante, parce qu'elle avance que ce besoin d'exister virtuellement vient uniquement pour combler un immense vide identitaire, une vieille peur de tomber dans l'oubli. Et si la tendance se maintient... tous ces «je» seront de plus en plus seuls au monde.

Le Théâtre PÀP réussit ici un coup de génie avec ce spectacle audacieux et réussi tant dans la forme que dans le contenu. On a noté le fond, soulignons ici la rigueur de la forme. La mise en scène très maîtrisée de Claude Poissant; le jeu précis et distancié des interprètes (Francis Ducharme, Laurence Dauphinais, Ève Pressault, Mickaël Gouin et Julie Carrier-Prévost); les somptueux éclairages de Martin Labrecque, la scénographie de Max-Otto Fauteux; la vidéo de Geodezik et les mouvements de Caroline Laurin-Beaucage.

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Cinq visages pour Camille Brunelle est LE spectacle à voir en ce moment au théâtre. Et pas seulement pour en discuter sur Facebook. Jusqu'au 23 mars à l'Espace Go.